Lecture : Des fleurs pour Algernon, par Daniel Keyes

La science-fiction reste mal considérée par une certaine frange de critiques littéraires et même certains libraires, mais il y a des textes auxquels même eux s’accordent à trouver des qualités. Des Fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes, fait partie de ces classiques du genre.

Algernon, c’est le nom d’une petite souris de laboratoire à qui on a fait subir un traitement chirurgical et hormonal afin d’accroître son intelligence. L’expérience ayant réussi, les savants décident de tester le même protocole sur un attardé mental, Charlie Gordon.
Charlie a la trentaine mais le développement d’un enfant. Il est commis et homme de ménage dans la boulangerie d’un brave homme, ami de son défunt oncle. Il vit seul et n’a plus de contact avec ses parents.

Le livre, c’est son journal, qu’on lui a demandé d’écrire pour tracer son ressenti des changements qu’il subit. Ses premiers « conte randu » sont hésitants, laborieux. Il a du mal à se souvenir de grand-chose et plus encore à se projeter dans l’avenir. Il a appris à écrire dans un cours pour adultes attardés, où il est le plus motivé. C’est pour sa motivation qu’il a été choisi. Il se sent accepté et apprécié à son travail, mais il aimerait être « un telijen » comme eux pour se faire des amis et se sentir moins seul.

L’expérience réussit. Charlie écrit de mieux en mieux, comprend de plus en plus de plus de choses. Il commence à comprendre, entre autres, que si ses collègues parfois l’emmènent avec eux dans leurs sorties, c’est pour rire à ses dépens, et non par amitié. Ils ne savent pas qu’il a été opéré, mais ils se rendent compte qu’il change. Il apprend. Il ne se laisse plus faire, et quand on le malmène, il s’en souvient.

Il apprend tellement vite que très bientôt, il lit des livres compliqués, suit des cours à l’université où il retourne chaque jour passer des tests pour le suivi de l’expérience. Les discussions d’étudiants qu’il admirait et trouvait de haute volée lui paraissent vite stériles et peu informées. Il apprend les langues, les sciences, et s’étonne et s’énerve que les docteurs qui l’ont opéré soient des imposteurs et non des génies. Des hommes normaux.
L’auteur retranscrit intelligemment le décalage qui se crée entre l’intelligence formelle de Charlie, qui atteint des sommets, et sa compréhension du monde, partie de postulats conçus alors qu’il était déficient.

Charlie finit par se rebeller et partir vivre sa vie. Son QI de 185 ne parvient pas à résoudre la relation amoureuse qu’il voudrait nouer avec Alice Kinnian, l’enseignante de son cours pour attardés, devenue sa confidente. Il veut aussi revoir ses parents et sa soeur Norma – la bien nommée, par qui sa mère a voulu se rassurer sur sa capacité à concevoir une enfant « normale ». Ses retrouvailles avec cette mère destructrice et sa soeur sont un des moments les plus poignants du livre. Il se cherche. Etre devenu plus intelligent ne l’aide pas à se faire des amis – au contraire, il est maintenant trop intelligent et ne trouve pas d’interlocuteur à sa mesure.

Coïncidence : alors que je venais de finir ma lecture, Arte en diffuse une adaptation télévisuelle, sobre mais fidèle. Grégory Gadebois joue l’unique rôle de ce monologue, mais le tournage en décors naturels d’un Charlie occupé à vivre sa vie permet d’éviter trop de statisme.

La vidéo est visible en replay pour quelques jours ici.

Elle renforce, que ce soit volontairement ou pas, la revendication de Charlie tout au long du livre : qu’on lui reconnaisse le statut d’être humain, y compris au Charlie « simple » d’avant l’expérience, et pas seulement celui d’anomalie ou d’expérience de laboratoire. Sa visite de l’Asile Warren, où sa mère avait voulu le faire interner, est un autre moment fort du livre. Les patients mais aussi les soignants y sont montrés avec beaucoup d’humanité.

5 réflexions au sujet de « Lecture : Des fleurs pour Algernon, par Daniel Keyes »

  1. Je ne savais pas qu’il y avait eu une adaptation ! En tout cas ce livre est .. magnifique ❤ Par contre c'est vrai que ça reste de la SF "douce" (de l'anticipation, mais pas trop marquée, absence de robots ou autres engins futuristes qui sont une marque du genre).

    • J’ignorais moi aussi qu’il y avait eu une pièce de théâtre. La moitié de la SF que j’ai lu était des romans qui partaient d’un postulat plus ou moins scientifique pour développer une réflexion sur un sujet qui a des ramifications contemporaines. Et le terme d’anticipation me hérisse parce que c’est celui qui est utilisé par les gens qui rejettent la science-fiction et qui ont besoin d’un label acceptable pour les oeuvres dont ils ne peuvent nier la qualité. 😉
      Je me souviens aussi d’un camarade de fac qui me soutenait que Terminator n’était pas de la SF parce que 1) il n’y avait pas de vaisseaux spatiaux etc dedans et 2) il avait aimé le film. En gros. « C’est bien donc ce n’est pas de la SF ».

      • LOL ! J’aime bien la raison n° 2 j’aime pas la SF DONC ce n’est pas la SF.
        CQFD quoi 😀

        C’est tellement dommage ce rejet, la SF regorge d’oeuvres merveilleuses ❤ (que celui qui lit Ray Bradbury et ose dire ensuite que la SF c'est que de la sous-littérature merdique meurt devant mes pieds à l'instant)

      • C’est d’autant plus dommage qu’il y a de tout dans la SF, des oeuvres ambitieuses et d’autre de « simple » divertissement, des trucs nuls aussi… comme partout. Mais tant pis, ce sont les sectaires qui y perdent.

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