Dans le spectacle de Jean-Luc Lemoine, il y a un sketch très drôle sur ses interactions avec des gens (fans ou pas) sur les réseaux sociaux. Il y explique notamment comment une fan de plus en plus énervée lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas ajoutée en amie malgré de nombreuses demandes, et qu’il avait répondu ne pas avoir plus que ça envie de discuter avec un épagneul breton (la photo de profil de la dame).
La façon de le présenter était drôle, mais blague à part, j’ai trouvé que ça démontrait qu’un monde d’us et coutumes nous séparent.
Je ne mets jamais ma vraie photo ni mon vrai nom sur les réseaux sociaux. Non que mon épagneul breton soit plus photogénique que moi (notez que si j’avais un chat, ce serait forcément le cas, vu que 99% des chats sont plus photogéniques que 99% des humains, mais là n’est pas la question), ou que j’aille profiter de mon anonymat pour troller et être acerbe. Enfin, je suis acerbe, mais ceux qui me fréquentent vous diront que je mâche aussi peu mes mots en vrai que sur Internet.
Mais :
1) Quand j’ai commencé à utiliser Internet (en 1997, c’est vous dire), on communiquait par email et newsletter. On n’avait pas de photos de profil, parce que toutes les images prenaient un temps infini à circuler par les modems 64k (enfin d’ailleurs, les 64k sont arrivés plus tard). Ce n’était pas prévu pour. Le réseau était encore majoritairement universitaire, destiné à échanger du texte et des données, pas des photos de chaton et du p0rn. Donc on ne connaissait de ses interlocuteurs que le nom d’usage et l’adresse e-mail, qui était souvent celle de leur fac (avec nom et prénom donc).
Mais dès l’avènement des adresses emails gratuites via Hotmail ou fournisseurs d’accès, et en particulier dans les fandoms, les gens ont adopté des pseudonymes. Déjà parce qu’il y a 50 John Smith ou Pierre Martin, donc on se retrouvait vite en doublon si on prenait son vrai nom. Personne n’a envie d’avoir comme nom d’email « Jean-Pierre241 ».
En prime, cela évite pas mal d’a-prioris, positifs ou négatifs. On juge les gens sur ce qu’ils disent / postent et non sur leur apparence. Alors évidemment, il y en a qui sont moins armés que d’autres pour se faire une place… mais « dans la vraie vie » aussi. Et au moins ça change les critères.
2) Il faut se rappeler aussi qu’Internet a été en premier colonisé par les scientifiques, les universitaires, et… les fans de sujets délaissés par les médias grand public, qui y ont enfin trouvé un moyen simple de communiquer avec des gens qui partageaient leurs passions, en particulier quand les goûts en question vous font passer pour bizarre dans votre environnement physique. Que ce soit la science-fiction (pas encore popularisée par Matrix), le fantastique (pas encore popularisé par Le Seigneur des Anneaux version Peter Jackson, les comics (pas encore popularisés par les films Marvel), les musiques alternatives, ou des sujets plus intimes comme les préférences sexuelles ou les contre-cultures underground.
C’est normal : ceux qui avaient des goûts plus conventionnels n’avaient pas, ou moins, besoin de cet outil alternatif, puisque représentant un public important, les médias leur fournissaient facilement de quoi les alimenter. Et quand on est majoritaire, on peut dire qu’on aime quelque chose sans craindre le stigma social (enfin… dans l’ensemble. Parce que même quand je dis que j’aime Titanic, il y en a qui jugent. Mais c’est plus rare de se faire tabasser pour ça, disons. On passe juste pour un naze auprès de snobs, on s’en remet).
Donc oui, dans ces conditions, on prenait par défaut un pseudonyme, parce qu’étant confronté à de l’incompréhension, voire des moqueries quand on parlait de ses hobbies, on préférait ne les partager qu’avec des gens qui aimaient les mêmes choses. Et on ne voulait (veut…) donc pas être retrouvé facilement par un voisin ou un camarade de classe cherchant une tête de Turc.
Et puis parce c’était le fandom, c’était fun, et que ça paraissait naturel de se donner un nom de vampire ou d’elfe pour parler d’heroic fantasy ou de films de science-fiction. C’était l’occasion ou jamais de se réinventer sans passer par l’état-civil.
Je n’ai jamais eu l’impression pour autant que les gens étaient anonymes ou les échanges impersonnels. C’était la profondeur de la conversation et la volonté des gens de se confier qui rendaient les échanges intéressants (ou pas). Pas qu’ils utilisent leur vraie photo ou leur vrai nom. D’ailleurs, votre pseudo révèle aussi des choses sur vous, puisque contrairement à votre nom, vous l’avez choisi. Créer ses photos de profil pour Livejournal était devenu un art, avec ses communautés, ses thèmes et ses modes.
Aujourd’hui encore, sur les forums, que ce soit de photo, de chats mignons ou de mangas, les gens utilisent généralement des pseudonymes. Parfois leur prénom, ou une variation, quand ils ne fréquentent pas beaucoup ou pas depuis longtemps ce genre d’endroits, mais ils prennent vite le pli. Et dans ce cadre, ceux qui utilisent leur vraie photo sont plutôt suspects de manque d’imagination ou d’exhibitionnisme.
3) Mon travail n’a absolument rien à voir avec mes activités en ligne. Je ne blogue pas sur mon activité professionnelle, cela ne m’apporterait rien (à part éventuellement des ennuis puisque confidentialité, etc). Et comme il y aura toujours quelqu’un pour mal juger vos hobbies (les visites de musée me font passer pour snob, les jeux vidéos pour geek, les concerts pour une fêtarde invétérée et immature… suivant qui regarde), je préfère ne pas trop m’étaler sur le sujet au bureau. Or comme mon vrai nom est de facto lié à mon profil professionnel, la seule façon de garder les deux séparés par les temps qui courent est d’utiliser des pseudos pour l’aspect personnel de mon activité sur les réseaux. Rien que le fait d’avoir un blog, sur les rares collègues au courant, on m’a dit au moins une fois « Mais c’est dépassé les blogs, non? » (et c’était il y a 2 ans).
4) J’ai des collègues curieux. En général, ce sont ceux avec qui on a le moins envie de partager des choses qui vous demandent en ami sur Facebook / etc si vous avez un compte à votre nom personnel. Utiliser un pseudonyme et une photo de Darth Hello Kitty m’évite de leur dire « non dégage, restons non-amis » quand ils veulent m’ajouter sur Facebook. Ils ne me trouvent pas, la question ne se pose pas.
5) Je ne vois pas l’intérêt non plus si c’est pour communiquer avec les célébrités sur leurs comptes FB ou Twitter. A moins d’être complètement couillon, les célébrités en question ne partagent rien de très personnel ni sensible dessus. Et quoiqu’ils puissent en dire, la main sur le coeur et la voix tremblante, à peu de choses près, toute la « communication » qu’ils vont avoir avec leurs fans via ces réseaux, c’est cliquer sur « like » quand on commente « Vivement le concert de juin! » ou « Super ton spectacle! ». Certes, il y a aussi des fans qui vont écrire (tous les jours…) des tartines lyriques à grand renfort de métaphores angéliques sur la musique des anges (mais ceux-là utilisent en général leur vrai nom et leur photo en avatar pour être reconnu au spectacle, justement), et peut-être quelques uns qui vont faire des commentaires douteux. Dans tous les cas, si jamais ça dérape en psychopathe, ça n’aura pas grand-chose à voir avec le choix de photo de profil (sauf si celle-ci représente une tombe avec votre nom dessus. Là, vous pouvez vous inquiéter).
6) Je n’ai aucune envie d’être connue et reconnue par mon nom et mon visage, juste éventuellement par ce que je fais. Mais je n’ai jamais rêvé que partout dans les rues, qu’on parle de moi, que les filles soient nues, qu’elles se battent pour moi (les hommes non plus du reste). Je conçois que les personnalités publiques trouvent cela curieux, ce n’est pas la peine pour autant d’y voir quelque chose de louche… Surtout vu le nombre d’entre elles qui opèrent sous des pseudonymes. J’ai le déplaisir de faire savoir à Jean-Luc Lemoine et confrères qu’il n’est pas nécessaire de passer à la télé pour être emmerdé sur Internet.
7) Je ne fais aucune confiance aux paramètres de confidentialité des réseaux sociaux et en particulier de Facebook. Et je n’ai pas envie que n’importe qui puisse savoir en permanence où je suis, ce que je fais, et ce que j’ai envie de commenter en ligne. Cela peut sembler parano, mais j’ai déjà eu la mauvaise surprise de découvrir que les gens s’intéressaient beaucoup plus à ma vie privée que moi à la leur. Il y a des gens qui ont VRAIMENT du temps à perdre à vous tracer en ligne, même si vous êtes un quidam ordinaire.
En fait, ce qui m’étonne, de nos jours, c’est que, en dehors des célébrités qui les utilisent pour leur promotion, des gens utilisent leur vrai nom et une photo bien reconnaissable sur des réseaux sociaux personnels (j’exclus évidemment Viadeo, LinkedIn et autres réseaux professionnels, où il serait de mauvais ton d’afficher un chat déguisé en Pikachu en avatar…).
En dehors de sites de rencontres, si vous avez besoin de savoir à quoi je ressemble pour m’adresser la parole, il est assez vraisemblable que ce que je raconte ne vous intéresse pas assez, et qu’en retour on n’ait, de fait, pas grand-chose à se dire. Et si on n’a pas l’intention de discuter et / ou de se rencontrer, alors il y a encore moins de raisons d’échanger des photos.
Je partage TOTALEMENT ton point de vue. J’ai commencé le net à la même période, pour les mêmes raisons… et mon avatar du web est bien cela, un avatar, qui ne relie pas à ma vraie identité, pour toutes les raisons que tu as cité 😉
Je pense que les gens célèbres qui font commerce de leur image ne réalisent pas qu’on peut ne pas avoir envie de s’afficher, et qu’on peut avoir envie de séparer vie pro et vie perso… Surtout par ces temps de Big Brother.
Comme j’aime ta façon d’expliquer les choses ! 😉 C’est toujours plein de bon sens, de style et lucidité. 🙂
Petit aparté sur le sujet : je pense que ce que tu es se dégage de ce que tu écris et de la façon dont tu écris. Non d’une photo de profil ou d’un pseudo. Alors effectivement s’il faut ça aux gens c’est qu’ils se trompent de personne et que tu les intéresse pas vraiment. Tu as complètement raison. Et si tu veux le savoir la première chose qui m’a accrochée sur ton blog c’est ton style et ta petite accroche » Etre fan est un hobby et un Frodon est un hobbit. ». Ce trait d’humour résumait tout. XD
Alors ça tombe bien car effectivement il s’avère qu’on a des trucs à se dire 😉
Après j’imagine que Jean-Luc Lemoine et consorts s’en fichent. Et qu’il y a des tas de gens qui se basent sur les photos de profil pour choisir qui « liker » sur le web. Tant mieux s’ils y trouvent leur compte.
Mais comme moi ce qui m’intéresse c’est des échanges un peu plus approfondis (ou déconnants mais c’est juste l’autre face de la même pièce 😉 ), effectivement je « juge » au style et au choix des sujets. C’est beaucoup moins trompeur! Il n’y pas Photoshop pour les écrits…
« C’est beaucoup moins trompeur! Il n’y pas Photoshop pour les écrits… » c’est merveilleusement bien dit. Jolie métaphore !