Lecture : Meyer et Schirlitz : les meilleurs ennemis – la Rochelle septembre 1944 – mai 1945

Si vous passez en Charente Maritime, vous pourrez vous étonner, entre autres, de la disparité architecturale entre des villes qui pourraient être similaires, comme Royan et la Rochelle. D’un côté, la Rochelle, forteresse de pierre aux trois tours médiévales, témoins du passé, au centre historique plutôt bien conservé.

La Coursive, le théâtre de la Rochelle

La Coursive, le théâtre de la Rochelle

De l’autre, Royan, plus récente certes, mais dont l’architecture essentiellement post-guerre de 40 manque singulièrement de charme et de bâtiments historiques, en dehors de la « croisette » locale – la Côte d’Argent, bien nommée, et la Côte de Beauté, qui l’est tout autant. Pourtant, au début du siècle dernier, c’était la destination balnéaire par excellence de la noblesse et de la grande bourgeoisie. Sarah Bernhardt, Cléo de Mérode et bien d’autres se sont produites dans son Casino, à l’époque (détruit par l’armée allemande au début de l’Occupation).

L’une des raisons s’en trouve expliquée dans ce livre, qui décrit comment la Rochelle doit, sans doute, sa sauvegarde durant la Seconde Guerre Mondiale aux efforts conjoints de deux hommes, l’un dans la marine française, le capitaine de frégate Hubert Meyer, et l’autre dans la Marine allemande, l’amiral Ernst Schirlitz.

meyer schirlitz

Après le Débarquement de 1944, les armées alliées reprennent le territoire en repoussant le front vers l’Est. Mais sur l’Atlantique, deux poches subsistent aux mains de l’occupant : une autour de Royan, l’autre autour de la Rochelle, chacune forte d’une garnison allemande. Celle de la Rochelle, en particulier, est d’une importance stratégique pour l’Allemagne comme pour les alliés, car elle inclut dans le port la base sous-marine de la Pallice, d’où partent les sous-marins. La protection en est confiée, en 1944, à l’amiral Schirlitz. Comme d’autres officiers allemands, comme von Choltitz à Paris, il a pour consignes, si la base tombait, de détruire les installations portuaires pour qu’elles ne puissent pas servir à l’ennemi.

Meyer est nommé comme négociateur pour tenter d’éviter des dommages inutiles à la ville et à ses habitants, d’autant que les installations portuaires seraient bien utiles pour la reconstruction de la France une fois la guerre finie, perspective qui devient proche au fil du temps. S’il parvient à contenir la menace représentée par la poche allemande, il peut de l’autre convaincre les alliés de ne pas bombarder la Rochelle. Les deux hommes sont issus de la Marine de leurs pays respectifs, et trouvent un terrain d’entente sur l’honneur. Echanges de prisonniers, maintien de l’approvisionnement des civils Rochelais au cours du siège… Si ces deux hommes n’avaient pas été là, le bilan humain de l’affrontement dans la région aurait sans doute été plus lourd, et la Rochelle aujourd’hui aurait un autre visage.

La Rochelle

La Rochelle

A la capitulation de l’Allemagne, la France tardera à respecter l’accord passé avec Schirlitz, qui devra une libération tardive aux témoignages de Meyer et d’autres témoins de ses efforts pour ménager la Rochelle.

J’ai lu pas mal d’essais sur la période, ces deux dernières années, et certains tombent des mains. La faute à un style académique, certes, mais aussi aux redondances nombreuses. Certains semblent être des compilations de cours destinés au rabâchage, alors qu’en tant que lecteur, on n’a pas besoin de se voir répéter 40 fois la même chose. Ce livre, co-écrit par un historien et un journaliste, est à l’opposé de ce travers. De par leur accès à la fois aux mémoires de Meyer (« Entre marins », publiées en 1966 mais hélas difficilement trouvables à l’heure actuelle), aux correspondances privées des deux hommes et à d’autres sources directes et indirectes, ils rendent la narration vivante, sans toutefois se départir de rapports scrupuleux aux faits. Le récit des vies parallèles de ces deux hommes méritait bien un livre, celui-ci leur fait honneur. Les riches annexes fournissent la copie d’une partie de leurs sources.

schirlitz_dague

La dague d’honneur de l’amiral Schirlitz, donnée par lui à Meyer lors de sa reddition, lui a été rendue par Meyer en 1964, par l’intermédiaire du général Hans Speidel , alors engagé comme Meyer dans un processus avorté de construction de la Communauté Européenne de la Défense (CED – projet qui contribua malgré tout à la naissance de l’Union Européenne). On peut la voir actuellement dans le Bunker de la Rochelle, parmi d’autres documents et objets de l’époque.

Au fil des pages, j’ai découvert que si Royan avait été presque entièrement détruite durant la guerre, ce n’était qu’en petite partie à cause des Allemands. Pour l’essentiel, les dommages viennent d’un double bombardement allié, en janvier 1945, difficilement justifiable… (je vous la fais courte, mais ça ressort plus du « on revenait de mission sans avoir pu larguer nos bombes sur le front à cause du mauvais temps, alors on les a largués en rentrant sur Royan, qui était sur le chemin » que d’un choix stratégique mûrement réfléchi et nécessaire à la victoire sur l’occupant… 442 morts, presque autant de blessés, la moitié de la ville rasée). Et ensuite à une reprise de la ville par les forces alliées, en avril de la même année, mais à quel prix. Et si peu de temps avant la capitulation, quel gâchis.

L'église de Royan, construite en 1958.

L’église de Royan, construite en 1958.

On n’en apprécie que mieux le fait que la Rochelle ait échappé au même sort.

Clin d’oeil cinéphile : la base sous-marine de la Pallice est toujours utilisée par l’armée française. Même si vous n’êtes pas féru d’histoire, vous l’avez sans doute vue… car elle a été utilisée pour le tournage de scènes dans divers films, dont Indiana Jones et Das U-Boot.

La Rochelle - l'une des trois Tours.

La Rochelle – l’une des trois Tours.

Meyer et Schirlitz : les meilleurs ennemis – la Rochelle septembre 1944 – mai 1945
Auteurs : Robert Kalbach, Olivieur Lebleu
Éditeur : Geste
ISBN : 2845611730

5 réflexions au sujet de « Lecture : Meyer et Schirlitz : les meilleurs ennemis – la Rochelle septembre 1944 – mai 1945 »

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  2. Le , Luc d'ANSELME (petit fils du Général André d'ANSELME, placé sous les ordres du Général de LARMINAT à l'époque de ces faits). a dit :

    Bonjour,

    Je trouve par hasard aujourd’hui votre article sur le net : je souhaiterais entrer en contact avec l’auteur de ces lignes, afin de lui faire part de quelques informations détenues par ma famille sur les relations entre MEYER et SCHIRLITZ.
    Merci à lui de revenir vers moi.
    Bonne réception

    • Bonjour,

      Merci à vous de votre message.

      je m’excuse de ne pas vous avoir répondu plus tôt, mais j’avoue me sentir sans doute illégitime comme interlocutrice. Je ne suis pas historienne, et ce blog ne traite que rarement de la grande Histoire. Il se trouve que je vais régulièrement en Charente-Maritime et que l’histoire de Meyer et Schirlitz m’a intriguée par ce qui en était raconté au Bunker de la Rochelle. Le livre dont je parle dans l’article m’a permis d’en savoir plus, et l’histoire (ainsi que celle plus globale de l’occupation de Royan et de la Rochelle) me paraissait mériter un article.

      Si toutefois vous préférez communiquer directement par mail, vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante :
      lady_macbeth_62@hotmail.com

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