Séries télé : du traitement de l’intelligence dans la fiction

Une mode récente dans la fiction est aux personnages dotés d’une intelligence supérieure ou de talents particuliers. Ce n’est pas une mode récente, en fait, elle remonte au moins à Sherlock Holmes. Mais depuis 10 ans elle est particulièrement présente, entre les 2 versions télé contemporaines de Sherlock Holmes, donc, le succès de Docteur House, du Mentalist, de Bones, qui avaient succédé à Numb3rs, et précédé Scorpion, dont je parlais récemment. Sans compter que toutes les séries actuelles d’enquêtes ont en personnage secondaire leur petit génie de l’informatique et/ou expert en science (Abby dans NCIS toutcourt, les deux geeks dans NCIS Los Angeles, Penelope Garcia dans Esprits Criminels, les deux experts scientifiques de Marvel : Agents du SHIELD…). Ca fait un quota de gens un peu bizarres qui amènent de la fantaisie dans l’univers plutôt sombre et strict de la police ou de l’armée (on dit « quirky » en anglais. Ou weirdo, mais c’est plus insultant).

En tant que personnages secondaires, au moins, les petits génies ont des sentiments, même s’ils sont systématiquement un peu bizarres.

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Dans les autres séries, ces personnages ont un autre point commun en dehors de leur intelligence : ce sont des connards arrogants et insensibles. Apparemment, n’étant pas équipés pour imaginer ce que c’est qu’être doté d’un QI et de connaissances supérieures à la moyenne (surtout aux USA où le niveau scientifique moyen fait qu’on croit qu’on peut « tomber » dans l’espace, que les lasers y font piou piou, et qu’une tartine tombée par terre n’est pas sale tant qu’elle y est depuis moins de 5 secondes), les scénaristes ont tendance à en faire des pseudo-magiciens qui tirent des conclusions « logiques » là où leurs collègues « normaux » n’y voient que confusion et nuages de preuves. Ce qui est curieux, parce que le spectateur moyen, lui, a compris 10 minutes avant le génie tellement l’intrigue est téléphonée, à moins que l’intrigue soit volontairement tirée par les cheveux et semée de fausses pistes. Et pour bien appuyer que hein, ce sont des génies pascommenous, ils les rendent imbuvables.

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Mais comme sur le long terme il faut qu’on puisse ressentir un peu de sympathie pour eux, ils leur accordent un aspect « redeemable » (qui lui permet de trouver la rédemption – je ne crois pas qu’il y ait de mot pour ça en français), en la présence d’un personnage pour lequel leur carapace de glace se fendille et laisse entrevoir qu’ils ont un coeur aussi : Booth pour Bones, Wilson pour le Dr House, la petite soeur malade dans Scorpion, Watson pour Holmes – dans les versions récentes. Celle de Jeremy Brett (ci-dessous, ma préférée) ne s’encombrait pas de tant de sensiblerie, mais elle n’en avait pas besoin : son Holmes était moins casse-pieds…

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C’est de l’écriture paresseuse, parce que les récentes études ont confirmé que en général, l’intelligence est liée à une grande sensibilité. C’est logique. Si on est plus sensible à son environnement et à ce qui passe autour de soi, le cerveau est stimulé plus souvent et plus fortement, donc il se développe plus.

C’est un peu le même phénomène que la différence entre des enfants (ou des chiens / chats…) si on interagit beaucoup avec eux, ou si on les laisse seuls dans une pièce sans rien à faire. Les premiers seront plus éveillés parce qu’ils ont plus d’occasions de faire fonctionner leurs neurones. Sauf que là, à stimuli égaux, le plus sensible sera plus stimulé que le moins sensible. C’est inégal mais c’est le jeu, ma pauvre Lucette. De même que sur les deux, il y en aura sans doute un qui court plus vite.

Au moins, le Dr House est drôle...

Au moins, le Dr House est drôle…

Confondre la capacité d’avoir un raisonnement rationnel (même en cas de stress) avec de l’insensibilité, c’est idiot. (bon ok, là on va me trouver arrogante) Parce que même si on réfléchit rationnellement, ça ne veut pas dire qu’on soit incapable de se rendre compte quand on blesse les gens (contrairement au Dr Brennan dans Bones ou au mec de Scorpion). Même si on trouve qu’ils se vexent parfois à tort (quand on énonce un fait et non un jugement, beaucoup de gens confondant les deux…), ce n’est pas pour autant qu’on trouve que c’est une bonne idée de les blesser. En général. Bon il y a des fois où on le sait et on fait exprès, que ce soit pour remettre en cause les raisonnements tout faits parce que ça nous agace que les gens ne réfléchissent pas, ou juste parce que eux nous agacent. Et des fois parce que c’est drôle. Mais pas parce qu’on est des idiots savants qui ne se rendent pas compte que le reste du monde ne pense pas pareil, contrairement à ce que les scénaristes décrivent trop souvent.

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De par une rigoureuse statistique faite au doigt mouillé parmi les gens que j’ai rencontrés, du milieu universitaire au CNRS et ensuite en milieu professionnel dans un domaine plutôt carré, les gens les plus brillants ne sont pas les plus arrogants. D’ailleurs d’une manière générale, moins les gens sont bien placés pour faire des critiques sur un comportement ou un autre (respect, politesse, …), plus fort ils gueulent… Il y a une raison à cela : si tu es toujours sûr de ce que tu avances, tu n’apprends pas. Et ne pas apprendre, c’est le contraire de l’intelligence. Les gens intelligents savent qu’ils peuvent se tromper, parce qu’ils savent qu’on ne peut pas tout savoir, et que donc même si on réfléchit bien, on n’a pas forcément tous les éléments en main pour en tirer les bonnes conclusions. Alors que les gens bêtes sont plus susceptibles de croire que tout le monde fonctionne comme eux (voire que tout le monde DEVRAIT fonctionner comme eux sinon c’est des cons…), et donc proférer des remarques désobligeantes sans se demander si par hasard, ça pourrait blesser quelqu’un.

Ce ne sont pas non plus des gens insensibles. Ils sont rarement démonstratifs, mais enfin toujours dans une statistique au doigt mouillé, réalisée plus dans ma vie perso et vie de fan, on a plus de chances de se faire poignarder dans le dos ou marcher sur la gueule par les gens qui font assaut de gentillesse sur les forums, que par les « calmes » qui ont des discussions posées et pondérées, voire un peu sèches. Et qui ne font pas de déclarations à l’emporte-pièce sur la solidarité. De ce côté là, c’est le Corbeau et le Renard : ceux qui font des discours appelant à la solidarité entendent généralement qu’il faut que tous les autres les aident. Pour l’inverse, il ne faut pas trop y compter…

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Bien entendu, c’est une généralité, des statistiques, pas une vérité gravée dans le marbre. Evidemment qu’il y a aussi des connards arrogants intelligents (un pet au casque ou un « léger » déficit en empathie…), qui sont d’autant plus dangereux qu’ils sont intelligents, d’ailleurs, contrairement au connard bourrin de base qui est plus prévisible et sait moins dissimuler ses intentions. Et avoir un décalage d’intelligence avec le reste du monde, vu que beaucoup de comportements en société ne sont pas logiques, ça entraîne souvent des petites particularités, effectivement, qui peuvent être mal interprétées, ou virer de façon plus grave notamment à l’école si l’enfant n’arrive pas à s’adapter.

Mais des connards arrogants, il y en a aussi parmi les idiots au Q.I. à deux chiffres. Alors pourquoi on ne fait de séries télé QUE sur les génies asociaux et désagréables, et pas sur ceux qui sont sympathiques et intégrés? Il vous fait l’impression d’être un sale con arrogant, Stephen Hawking? Il sont cassants, les prix Nobel?

(je ne parle pas de faire des séries télé sur les personnes au Q.I. de moule : il y en a déjà bien trop et ils ne s’embêtent pas à payer des scénaristes ou des acteurs pour ça : ça s’appelle la télé réalité).

2 réflexions au sujet de « Séries télé : du traitement de l’intelligence dans la fiction »

  1. En résumé cassons les clichés, il y a un peu de chaque dans les deux catégories, des cons arrogants au Q.I d’huître et des supers citrons adorables (Stephen Hawkings je t’adore man!).

    Ceci dit, en parlant de Sherlock (attention mine !) j’aime bien la version de mes chéris de BBC parce qu’ils en font un emmerdeur humain. Ce n’est pas qu’il n’a pas de sentiments, c’est qu’il les juge inutiles donc il s’en coupe au maximum pour ne pas se parasiter. Du coup il a des comportements de sale goujat à l’occasion. Parfois. Ok, souvent.

    Ce qui est vrai par contre, et c’est le fameux syndrome d’Asperger, c’est que certaines personnes très intelligentes souffrent parfois d’une forme de dysfonctionnement dans la sphère relationnelle. Elles sont en sommes incapables de saisir les codes qui régissent les relations sociales ou de décrypter une émotion. Attention ce syndrome relève de la sphère autistique. Ce qui ne veut pas dire que tous les autistes en souffrent ou que les gens qui en souffrent sont autistes. Mais on peut en profiter pour en conclure par contre que les autistes sont souvent très intelligents.
    Cf Rain Man.
    Bref !
    Pour conclure mon pâté (XD), en réalité tout n’est pas une question d’intelligence mais parfois de profil psychologique (cf les différentes personnalités établies par Young). Et si certaines personnes peuvent avoir un relationnel différent c’est en réalité une question de perception et de logique.
    Pas forcément d’intelligence. Même si parfois c’est lié.
    Comme tu le disais, il y aussi des cons qui n’ont pas conscience de blesser les gens en bramant leur vérité très fort.
    Mais comme disait l’autre: le problème avec les cons, c’est qu’ils ne le savent pas… qu’ils sont cons.
    Je voulais dire quoi déjà ?

    • Pour en revenir à Asperger, le problème à mon avis c’est que c’est « à la mode » et que du coup la plupart des scénaristes qui écrivent des génies leur donnent systématiquement des autistes Asperger. Mais en les réduisant à des gens dénués d’humour et d’empathie. Alors que si on voit une interview de Josef Schovanec, ce n’est pas le cas du tout.
      Evidemment il y a des degrés dans l’autisme et ceux qui en sont atteints sévèrement vont avoir plus de mal à apprendre à déchiffrer les comportements de leurs « semblables » pas si semblables neurotypiques totalement illogiques…

      Accessoirement aussi, il faut donner des clés à ces gens et le temps d’apprendre… mais au bout d’un moment il faut aussi faire la différence entre les différences de relationnel et le fait d’être un connard sadique.

      En fait, plus globalement, je suis agacée par cette mode des anti-héros désagréables, surtout quand au final tout le monde les adore. A la limite je tolère House que je trouve parfois drôle, qu’il a le mérite de sauver des vies, et que quand je vois à quel point avoir mal au dos ou aux dents 2 jours de suite me rend grognon, être estropié et avoir besoin d’un puissant opiacé pour simplement marcher, c’est une bonne excuse pour avoir un caractère de cochon…
      Mais la plupart des autres héros « goujats » qu’on est pourtant censé adorer, moi ils me soûlent très vite… (ex Mentalist, Holmes, etc).

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