La fiction préférant les excès et les passions à la mesure, ce sont surtout les fans psychopathes ou ridicules qui inspirent les scénaristes.
L’une des plus marquantes sans doute est Annie Wilkes, l’héroïne de « Misery », le roman de Stephen King (chroniqué ici). Celui-ci a été brillamment adapté en film en 1991 par Rob Reiner, avec Kathy Bates et James Caan dans les rôles principaux : vous ne regarderez plus jamais un bout de bois de la même manière. Argh. Paul Sheldon, écrivain populaire lassé des histoires à l’eau de rose qui ont fait son succès, a décidé de tuer son héroine Misery dans son nouveau roman, afin de se consacrer à un livre plus ambitieux. Après un accident de voiture, il est recueilli et soigné par Annie, une femme entre deux âges à la vie monotone. Lorsque celle-ci lit le dernier opus de sa série, elle entre dans une rage folle et décide de séquestrer Sheldon jusqu’à ce qu’il finisse de rédiger le tome qui verra Misery revenir à la vie.
On imagine que, même si Stephen King est spécialisé dans l’horreur qui naît de situations quotidiennes, il s’est probablement inspiré de l’inquiétude que peut susciter chez un auteur l’obsession parfois maladive des lecteurs. S’il est gratifiant d’avoir un public assidu, cela doit aussi être déroutant lorsque ces lecteurs sont encore plus pointilleux et investis dans l’œuvre que l’auteur lui-même. Ce sont souvent les critiques les plus sévères, capables de relever des contradictions de détails entre deux tomes écrits à dix ans d’intervalle. De là à ce qu’ils prennent un rebondissement ou une évolution tellement mal qu’ils veuillent le faire payer à l’auteur, il n’y a qu’un pas, en tout cas dans la fiction. Dans la réalité, cela arrive également : si Mark Chapman a décidé d’assassiner John Lennon, c’est semble-t-il parce qu’il estimait qu’en devenant riche et en s’installant dans une vie bourgeoise de père de famille et propriétaire foncier, il avait trahi ses idéaux de jeunesse révolutionnaires…
On retrouve cette dévotion chez Gil Renard, dans « Le Fan » de Tony Scott, avec Robert de Niro et Wesley Snipes, sorti en 1996. Là aussi, ça tourne mal. Gil Renard (De Niro), représentant en coutellerie, est un fervent supporter des Giants de San Francisco. Il attend avec impatience le match d’ouverture, qui verra le retour dans l’équipe de leur batteur vedette Bobby Rayburn (Snipes). Hélas, Bobby se blesse lors de ce match, et entame un long passage à vide, sapé par son rival Juan Primo (Benicio Del Toro). En parallèle, Gil perd son emploi et son droit de visite sur son fils. Suite à des échanges avec Bobby à l’antenne de la radio locale, Gil se sent investi de la mission de raisonner Juan Primo. L’entretien dérape… Et Gil Renard sombre dans une spirale infernale, en quête d’une reconnaissance de Bobby pour son action.
C’est là une bonne illustration du cliché de la descente aux enfers du fan qui pète les plombs : celui qui rate sa vie en partie à cause de sa passion. Ici, Gil a du mal à choisir entre le match d’ouverture et un rendez-vous d’affaires. Il finit par laisser son fils de huit ans au match pour aller au rendez-vous, mais le client s’est absenté sans prévenir… Quand il revient au stade, une charitable vieille dame a déjà ramené l’enfant à sa mère. Au final, le match lui a coûté son fils et son travail. Par contrecoup, il voudrait que l’objet de cette passion lui procure une gratification à la hauteur de ses sacrifices. Il va de soi que plus l’investissement (en temps, en argent, en occasions manquées) est important, et plus l’idole (artiste ou sportif) a du mal à être à la hauteur des attentes du fan. Sans aller jusqu’à complètement gâcher leur vie, ce genre de schéma est fréquent, et à l’origine de beaucoup de débordements, verbaux pour commencer (insultes envers l’idole qui ne s’est pas arrêtée, ou pas assez longtemps, pour signer des autographes), et pouvant dégénérer si la personne n’est pas bien entourée.
Dans « La valse des pantins » de Martin Scorsese, sorti en 1983, Robert de Niro incarne déjà un fan mythomane, qui confond politesse et amitié. J’en ai déjà parlé ici-même.
Effectivement, ça fait froid dans le dos lorsqu’un fan est plus engagé que l’auteur lui-même. Je l’ai appris avec Misery qui m’a profondement marqué ado et m’a définitivement conditionnée à ne pas basculer de ce côté…obscure.
Si je peux apporter un bémol, depuis ce temps, j’ai remarqué que bien souvent les artistes ne sont pas toujours très engagés dans leurs oeuvres… 😛 😉
On n’est pas les seuls à avoir des boulots alimentaires!
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