Si vous lisez ce blog depuis un moment, vous devez savoir que je suis fan de River Phoenix (dont c’est aujourd’hui l’anniversaire). Malheureusement, j’ai découvert son existence peu après son décès, de sorte que je n’ai même pas eu le temps d’espérer le rencontrer un jour.
Néanmoins, dans ma quête pour le comprendre, je me suis longtemps intéressée à ce que devenaient ses proches. Parmi eux, trois de ses quatre frère et soeurs ont tenté de faire carrière au cinéma: sa soeur Rain, sa cadette de deux ans. Son frère Joaquin, qui a si bien réussi, avec entre autres ses nombreuses collaborations avec James Gray, qu’il éclipse maintenant son grand frère. Et la petite dernière, Summer, qui n’avait que quinze ans quand River a disparu (Liberty n’a jamais réellement fait l’actrice).

De g. à d. Summer, Joaquin, Jeffrey Wiseberg, Rain, Arlyn et Liberty Phoenix*
Mais même une fois installée à Paris, je n’étais pas pour autant dans le milieu du cinéma et encore moins le cinéma US. Donc je ne m’attendais pas à pouvoir les approcher un jour. Je me trompais.
Après avoir décroché de tout petits rôles dans divers films, Summer fut choisie en 1998 par Arnaud Desplechin pour interpréter le rôle titre dans son ambitieux film en anglais et en costume, Esther Kahn. L’histoire d’une jeune femme hermétique (maintenant on lui collerait sans doute un diagnostic d’autiste), dans le Londres populaire du West End de la fin du XIXème siècle, qui finit par s’ouvrir à la vie en découvrant le théâtre.
Après avoir vu le film en salle dans sa version normale dans une avant-première publique au Max Linder Panorama le 2 septembre 2000 (je ne me souviens plus le motif… Télérama, peut-être?), je découvre qu’une autre avant-première publique aura lieu le 12 septembre au Majestic Bastille (erratum : je croyais que c’était le MK2, voisin, mais non, d’après le plan. D’autant que le Majestic appartenait à BAC productions, qui a financé le film), celle-ci en présence de l’équipe du film. Je prends donc des billets, sans trop savoir à quoi m’attendre.

Summer Phoenix – Esther Kahn
Le soir venu, je ne me sens pas vraiment à ma place: le public est de toute évidence cinéphile et adepte de cinéma d’auteur. Je n’ai rien contre le cinéma d’auteur, mais ça dépend lequel. Arnaud Desplechin fait partie de ces réalisateurs français issus de la FEMIS, que, pour être tout à fait honnête, j’ai plutôt tendance à fuir… Le film se passe, une version longue différente de celle déjà vue. C’est déjà ça.
Puis la lumière se rallume et quelques personnes se présentent au bas de l’escalier de la rangée où je me trouve. Parmi elles, le réalisateur, quelques acteurs français, et Summer, qui a coupé court ses cheveux, et les a teint en blond platine. Cliché : elle semble plus petite en vrai. Un officiel (du cinéma?) demande s’il y a des questions dans la salle.
Un spectateur demande si c’est un choix que, à l’exception des acteurs anglophones (outre Summer, on trouve Ian Holm etc), les acteurs français aient un accent marqué (je ne me souviens plus de la formulation exacte, mais c’était clairement une façon polie de demander pourquoi on nous infligeait un anglais catastrophique). Desplechin répond que c’était une référence aux films de Rohmer où les acteurs parlaient anglais avec l’accent français. Réponse prétentieuse qui me le rend tout de suite antipathique. D’autant plus quand j’appris qu’après avoir fait traduire son scénario en anglais par un traducteur professionnel et anglophone d’origine, il avait… Modifié le texte pour l’arranger à sa sauce. C’est sans doute pour ça que pour la maigre carrière du film à l’étranger, il revenait souvent dans les critiques l’usage incongru et répété du mot Fuck dans la bouche de ces juifs du West End du XIXe siècle, comme s’ils étaient des malfrats US de notre époque. Et que même moi, j’entendais des tournures qui ne me paraissaient guère anglaises.

Summer Phoenix – blonde
Un autre spectateur, du fin fond de la salle, demande à Desplechin, en anglais, s’il est d’accord avec cette citation de Kubrick (je crois) sur le fait qu’il faut faire souffrir les acteurs pour obtenir d’eux une bonne performance. Desplechin et l’équipe rient, Desplechin répond (je ne sais plus quoi mais ce n’était pas très convaincant), et ponctue sa réponse d’un « kessi« . Rentrée chez moi, je chercherai dans Google qui donc ça peut être. Entre le nom et le visage, j’identifierai Casey Affleck. Je découvre ainsi avant que ce soit officiel la relation entre Summer et Casey Affleck, frère de Ben et copain de Joaquin, le frère de Summer. En tout cas, le ton mordant sur lequel il a posé la question m’a laissé peu de doute sur l’interprétation de sa question… Le tournage a dû être difficile.
Il y a peu de questions, l’officiel en semble dépité. Il clôt la session, l’équipe du film redescend l’escalier par où ils sont arrivés. Je bondis de mon siège en bord de rangée pour leur emboîter le pas. Je voudrais échanger quelques mots avec Summer, histoire de me faire une impression directe au lieu de me contenter d’articles subjectifs. Elle était restée vers le bas de l’escalier, en retrait, je dois donc doubler le reste de l’équipe si je veux la rattraper. Dans ma hâte, je manque de bousculer Arnaud Desplechin (instant La Cité de la Peur : « Barrez-vous, cons de mimes! » – comme ça vous comprenez pourquoi je ne me sentais pas à ma place à cette avant-première). Priorités.

Summer Phoenix – brune
J’arrive dehors, j’ai perdu de vue Summer, je crains qu’elle n’ait sauté dans un taxi aussitôt sortie. Mais non : elle attend devant le cinéma avec deux personnes (dont peut-être sa mère, me suis-je dit après coup. A ce stade, je suis tellement étonnée de ma bonne fortune que mon cerveau bugge un peu et je ne vois qu’elle). J’hésite à y aller, je sens comme une poussée dans le dos (alors qu’il n’y a personne) et je m’approche. C’est sa soirée, je ne veux pas lui parler de son frère, d’autant que je ne m’en sens pas le droit, aussi je la remercie juste d’avoir rendu grâce au personnage d’Esther (qui est assez unique, il est vrai) et pour son interprétation. Elle me fait un grand sourire, me dit merci, me frictionne le bras et me serre dans ses bras avec une force surprenante. Quand elle me lâche, je lui tend un petit cadeau (un porte-bonheur), je lui dis merci et je m’en vais.
Rétrospectivement, je suppose que c’est Casey qu’elle attendait, mais ça a fait mon affaire.
Quelques mois plus tard, je lis une interview d’elle par Casey, avec cette intro :
This is not to say that Summer does not make a deep first impression. She can be startling. The colors of her face are brown, gold, green and red of an almond orchard at sunset. Close friends sometimes call her « Almond Joy ». She is one of those people (there aren’t many) who always seem to have a breeze gently blowing their hair. And her eyes… Actually… Twinkle… No matter where.
Her behavior is compulsively affectionate. She hugs and kisses everyone. She feels your pain. She wants it to go away. And within five minutes of your meeting, her surprisingly strong hands are laboring over your tense and twisted back muscles. If this sounds hard to believe then you are probably something between a reasonable person and a cynic.
Et je me dis « Oui, elle m’a fait cet effet aussi. » (enfin, sauf que moi je n’étais pas totalement in love d’elle comme Casey l’était visiblement en écrivant ces lignes. Depuis, ils ont eu deux enfants et se sont séparés). Mais du coup, je comprends un peu mieux l’impression que son frère semble avoir laissé à ceux qui l’ont connu, car elle dégage elle aussi quelque chose d’assez unique.
*la photo de début d’article est tirée d’une rare apparition publique groupée de presque toute la famille, à l’occasion des PETA Awards, pour remettre le prix River Phoenix à un réalisateur.
Très joli portrait et une jolie rencontre. Parfois le hasard… Sinon toi et moi aurions bien ri à cette avant-première de cette prétention si j’avais été là.
A dire vrai, dans le cas de River, le hasard fait tellement bien les choses que j’en suis devenue superstitieuse XD Cette expérience là n’est qu’une des nombreuses du type – l’une des plus balezes, j’avoue.
Oui, j’avais des a prioris sur « un certain cinéma français »… maintenant ce sont des a posteriori 😛
J’aimais bcp River Phoenix….Ils ont un « truc » dans cette famille……
Oui, ils sont vraiment particuliers.
bon texte bien captivant, comme d’habitude…
Merci!
Ping : Mes aventures de fan : River Phoenix | Fan Actuel
Ping : Best of Fan Actuel 2016 | Fan Actuel
Ping : Throwback Thursday Livresque #17 : un livre invisible (dont on ne parle pas assez) | Fan Actuel
Ping : Champs Elysées Film Festival 2017 : les courts-métrages US | Fan Actuel