Fan-fiction Dragonlance : L’appel des ténèbres (2/4)

Chapitre 2

Jusque dans la nuit, le rire atroce tinta à ses oreilles. N’y tenant plus, il se leva pour marcher dans les jardins publics, essayant de chasser ce son de sa mémoire. La douceur de la nuit ne lui apporta guère la paix, car il ne put s’empêcher de repenser à Shalinar. Ses brûlures étaient en voie de guérison, mais il serait plongé dorénavant dans une nuit permanente. Les flammes en attaquant ses yeux l’avaient rendu aveugle, et personne n’avait rien pu y faire. Cela dépassait les capacités des mages du Silvanesti. Dalamar serra les poings. Si seulement il avait eu le pouvoir de neutraliser le mage noir avant qu’il lance son sort, s’il n’avait pas eu à l’attaquer avec sa simple épée, il aurait peut-être pu l’empêcher de rendre Shalinar invalide. Si Kerenthas n’avait pas tant attendu avant d’utiliser sa magie pour le contrer…

Dalamar leva les yeux au ciel pour y trouver une réponse. Solinari, la lune argentée, était presque complètement éclipsée par l’ombre de Krynn. Lunitari, aux trois-quarts pleine, semblait pulser comme un astre de sang. L’elfe écarquilla les yeux. Il lui semblait… Non. Passer une journée dans la pénombre des prisons avait dû imprimer des images en négatif dans son esprit. Nuitari n’était visible qu’aux initiés des Robes Noires. Un elfe ne pouvait certainement pas distinguer la lune maléfique. A part peut-être ceux dont on n’osait même pas parler tant ils jetaient l’opprobre sur leur peuple par leur trahison. Ceux qui tournaient le dos à la lumière, si honnis de leurs frères de race que leur souvenir était banni de la mémoire collective jusqu’à ne plus être qu’une légende horrifique.

Dalamar scruta les ténèbres de la nuit. Explorer cette voie était-il réellement une ignominie, ou bien seulement dans l’esprit étriqué de ses concitoyens? Ou bien encore un moyen de conserver le pouvoir aux seules mains des familles régnantes?

 

Le matin ne lui avait toujours pas apporté de réponses lorsqu’il descendit prendre son tour de garde. Le mage se leva quand il ouvrit le panneau de bois au bas de la porte pour y faire passer le plateau contenant le sommaire repas du matin. Les prisons elfiques n’étaient pas trop dures envers les prisonniers qu’ils espéraient échanger. Selon toute vraisemblance, et afin de ne pas s’impliquer dans le conflit des humains, les Elfes allaient négocier la libération du mage avec l’Armée des Ténèbres contre une promesse de neutralité. Promesse que les suppôts de la Reine Noire ne seraient sûrement pas assez stupides pour tenir longtemps. Dalamar resta près de la porte pour observer le mage noir, qui semblait fort amusé de son attention. Il mangea sans se presser, puis reposa poliment le plateau vide à l’endroit où il l’avait pris. Dalamar le releva distraitement et referma le panneau du bas, mais pas celui par lequel il étudiait le visage rusé du prisonnier. Celui-ci lui adressa un sourire qui aurait été amical, s’il n’avait été porté par un homme qui ignorait le sens de ce mot.

 » Que Nuitari veille sur toi, jeune elfe. As-tu un peu de temps à accorder à un prisonnier aujourd’hui?

– Cela dépend de ce que vous avez à me dire.

– Un marché, mon jeune ami. »

Dalamar fronça les sourcils en portant la main à son épée d’un air menaçant, sans pourtant être réellement convaincant.

 » Je ne vous délivrerai pas.

– Je ne t’ai rien demandé de tel. Je souhaite simplement améliorer quelque peu mes conditions de détention. Les négociations risquent d’être longues et pour correcte que soit cette cellule, si mon séjour se prolonge j’aimerais qu’il soit le moins pénible possible.

– En échange de quoi? », demanda l’elfe, méfiant.

Le mage hocha la tête d’un air entendu.

 » On dit que les elfes sont naturellement doués pour la magie. Voudrais-tu vérifier par toi-même si tu possèdes ce don?… Je me propose de t’enseigner ce que je sais, puisque je vais avoir du temps à occuper, selon la volonté de ma Déesse. »

Dalamar dissimula un frisson. Le Mage Noir avait deviné son point faible. Sa proposition était trop tentante pour être refusée. Dalamar avait pris sa décision avant même de l’entendre.

 

L’ombre souterraine de la prison répugnait autant aux autres elfes qu’à Dalamar, aussi aucun visiteur inattendu ne surprit ses discussions avec le Mage Noir, Talikath. Le jeune elfe avait assisté à des démonstrations de magie à l’occasion, mais l’enseignement en était tellement fermé qu’il n’avait jamais pris conscience de ses différentes ramifications et influences. Les elfes ne pratiquaient que la magie blanche, méprisaient les mages rouges, et le simple fait d’évoquer les mages noirs leur arrachait une grimace de dégoût. Le prisonnier apprit à Dalamar que les mages, entre eux, connaissaient la nécessité de garder l’équilibre entre les serviteurs des trois lunes, Solinari, Lunitari, et Nuitari. Sans quoi ils se seraient depuis longtemps entre-déchirés, en détruisant le monde avec eux.

Fasciné, Dalamar s’imprégnait avidement de la moindre parcelle de savoir que lui révélait son prisonnier, qui lui ouvrait des perspectives entièrement nouvelles sur le monde. Il se sentait comme un aveugle à qui la vue aurait été donnée subitement. Krynn lui apparaissait bien plus complexe, plus vivante et passionnante que ne le considérait son peuple. Dans ce chaos qu’ils redoutaient et ignoraient, il discernait des possibilités qui lui seraient fermées dans le cadre rigide du Silvanesti. Même les mensonges de Talikath, dont il n’était pas dupe, lui étaient profitables. Le mage avait une façon bien à lui de présenter les faits sous le jour le plus favorable à ses plans, qui stimulait la réflexion de Dalamar.

Talikath semblait persuadé que la Reine des Ténèbres en personne avait arrangé leur rencontre pour qu’il les rejoigne, et il ne se faisait pas prier pour lui transmettre toutes les informations qui seraient utiles à un futur Robe Noire. Il évitait bien sûr de révéler des secrets concernant l’Armée des Ténèbres, mais il ne tarissait pas de projets pour son gardien devenu presque son apprenti. Sur ses conseils, Dalamar s’arrangea pour dérober temporairement les possessions de Talikath, qui étaient conservées en sécurité dans une aile de la prison. L’elfe n’était pas assez idiot pour les lui rendre, mais ce n’était pas -du moins pas seulement- le but du mage. Il se contenta contre mauvaise fortune bon coeur d’indiquer à Dalamar comment lire ceux de ses grimoires qui ne renfermaient pas de sort de protection trop dangereux. Cela serait leur perte à tous les deux.

Toujours éloigné des tâches plus importantes depuis l’assaut qui avait coûté la vue à Shalinar, Dalamar était confiné chez lui dès la fin de sa garde. Il employait son temps à décrypter les ouvrages de Talikath et à tenter d’en reproduire les sorts, avec une réussite certaine. Un soir, alors qu’il venait de prendre son poste à côté du cachot de Talikath et qu’il lui faisait une démonstration de ses progrès, la double porte d’acier de la prison s’ouvrit brusquement et livra le passage à une vingtaine de gardes menés par un Kerenthas vindicatif.

 » Traître! Je me doutais que vous seul êtes assez corrompu pour irradier cette magie malfaisante sur notre terre sacrée! »

Sur l’instant Dalamar fut entouré de gardes et enchaîné avant d’avoir pu faire un geste ou dire un mot pour se défendre. D’ailleurs il n’y avait pas défense possible. La sentence pour un elfe se rendant coupable de magie noire, pour quelque motif que ce soit, était le bannissement immédiat, sans autre forme de procès. Le jeune elfe fut jeté sans ménagement au fond d’un chariot. Après plusieurs heures de voyage inconfortable, il fut détaché et se rendit compte alors qu’ils se trouvaient à quelques lieues de la frontière du Silvanesti, en territoire humain. Dans le ciel se rassemblaient de lourds nuages noirs d’orage, et déjà un vent froid leur amenait la promesse d’une pluie torrentielle. Avant de s’en aller avec dédain et précipitation, Kerenthas et ses gardes lui jetèrent les sacs où toutes ses affaires avaient été rassemblées en vrac, comme si elles étaient infestées par quelque maladie ignominieuse et contagieuse. Le Silvanesti ne voulait rien garder d’un elfe qui tournait le dos à la lumière, ni ses possessions ni même le souvenir de son existence.

Dalamar en avait autant à leur service. Il regretta simplement de ne pas avoir eu plus de temps pour étudier les livres tenus au secret dans les bibliothèques du Silvanesti. Rassemblant rageusement ses possessions, Dalamar en fit l’inventaire et tâta la tunique recouvrant son armure de cuir. Ils n’avaient même pas voulu se salir les mains en le fouillant, et il avait toujours sous son armure, contre sa poitrine, soigneusement enveloppés, les livres de Talikath. Le jeune elfe se demanda avec une amère satisfaction combien de temps il faudrait à Kerenthas pour se rendre compte qu’il lui avait laissé un présent d’une telle valeur. Il avait sans doute escompté que Dalamar se trouverait rapidement à bout de ressources et périrait avant d’entacher plus l’honneur de leur race. Mais il ne lui ferait pas ce plaisir.

Dalamar tourna le dos aux collines du Silvanesti. Nuitari lui apparaissait comme un disque noir sur le ciel étoilé. Krynn comptait désormais un elfe noir de plus.

 

2 réflexions au sujet de « Fan-fiction Dragonlance : L’appel des ténèbres (2/4) »

  1. C’est une version intéressante. 😀 Je ne me souvenais pas du tout que le passé de Dalamar n’était pas dévoilé dans les romans ! (Faut dire que ma lecture date un peu.)

    Merci pour ce texte. Est-ce que la suite parlera de sa rencontre avec Raistlin ? 🙂

    • C’est possible que son histoire soit racontée dans un tome à part, j’avoue que je j’avais lu que la tétralogie principale, de mémoire. Raistlin fera une apparition en guest star, oui 😉

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