Ca fait grand bruit dans le landernau des blogs littéraires : dans la série de télé réalité inspirée de sa méthode, Marie Kondo conseille à ses clients venus demander de l’aide pour se désencombrer de jeter leurs livres. Scandale, hérésie, au bûcher ! Crient les lecteurs et bibliophiles.
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Je m’interroge sur cette réaction épidermique des lecteurs à des conseils dont ils ne voient qu’une moitié tronçonnée. Il faudrait peut-être qu’ils lisent… le livre de Marie Kondo pour comprendre la démarche derrière, au lieu de se fier à une adaptation américaine en télé réalité, que même les gens qui étaient dubitatifs sur la méthode estiment passer à côté du message.
J’en ai parlé quand j’ai chroniqué le livre, mais petit rappel.

1) Marie Kondo n’est pas Mary Poppins
Pas de panique, elle ne va pas débarquer sur le pas de votre porte pour jeter vos précieux livres à votre corps défendant. On n’est pas dans Fahrenheit 451. Sa démarche s’adresse à ceux qui *veulent* désencombrer leur intérieur et / ou leur vie. Vous avez des piles de livres du sol au plafond et cela vous rend heureux ? Gardez-les! Pourquoi diable regardez-vous l’émission de Netflix? Est-ce que je regarde Top Chef, moi, quand ma conception d’un dîner cuisiné, c’est de faire compoter 2 tomates pour accompagner mes gnocchis poëlés?

2) Jeter des livres, c’est sacrilège
Oui, je suis assez d’accord. Néanmoins, si Marie Kondo parle de jeter au lieu de vendre ou de donner, il y a des raisons : c’est parce que dans la plupart des cas, cela revient à entreposer les objets en question en attendant de trouver le temps de les référencer sur Leboncoin / louer une table à un vide-grenier / trouver parmi ses amis qui est intéressé. Temps qu’on ne trouve pas plus que les occasions de le faire, et 5 ou 10 ans après le carton « vide-grenier » est toujours chez vous à prendre la poussière.
Donner? On a trop tendance à refourguer son bazar à d’autres en pensant rendre service, et au final s’ils sont trop polis pour refuser alors que ça ne les intéresse pas, on ne fait que leur transmettre le problème.
Pour les livres, il y a ici un article recensant où et comment en faire don ou les recycler, mais sachez que malheureusement, les bibliothèques municipales et autres établissements publics que vous pensez aider ne peuvent souvent pas prendre vos dons.
Vous avez une boîte à livres près de chez vous ? Alors déposez-y vos précieux. Vous avez besoin des 3 euros par kilo que peuvent vous rapporter vos livres? Vendez-les donc. Mais sinon, c’est souvent reculer ad vitam aeternam le moment fatidique pour pas grand chose.

3) Désacraliser les livres
J’ai été une grosse lectrice depuis mon enfance, mais à présent, je trouve difficilement le temps et de l’intérêt pour la plupart des livres. Moi qui longtemps ne lisait que des romans fantastiques ou de science-fiction, ce sont plutôt les livres documentaires que je recherche, au détour d’un intérêt subit (cf mes chroniques historiques sur le blog). Les livres que j’ai lus pour le challenge des 100 livres, alors que ce sont des classiques, ne m’ont pas causé un enthousiasme délirant. Au mieux, j’ai compris pourquoi c’était des classiques, par leur intérêt documentaire humain autant que littéraire sur ce qu’ils racontaient de leur époque. Au pire, ils m’ont agacé ou ennuyé, sans rien m’apporter d’autre qu’une case cochée dans cette liste (juste un énième effet de mode bloguesque) et un soupçon de culture générale supplémentaire. La belle affaire.
Au final, quand après avoir lu le livre de Marie Kondo, je me suis décidée à trier ma bibliothèque, ça m’a effectivement fait du bien. Je me suis débarrassée (donné, vendu…) de livres que je savais ne jamais vouloir relire, voir lire (car je les avais achetés ou on me les avait offerts à une époque où mes centres d’intérêt étaient différents). Ca m’a libérée d’un poids psychologique dont je n’avais pas forcément conscience : la « charge mentale » (pour reprendre un terme à la mode), voire morale, d’un devoir auto-imposé de lire ces livres, alors que je n’avais ni le temps ni l’envie de le faire. Grâce à Marie Kondo, j’ai compris qu’il valait mieux leur donner une chance d’être lus ailleurs plutôt que de me peser chez moi par leur présence accusatrice. Respecter les objets, c’est bien, mais les sacraliser, c’est peut-être un peu trop – oui, même les livres.
Il y a aussi ceux qu’on a lus avec plaisir, mais de l’eau a coulé sous les ponts, nos goûts ont changé. On les garde en souvenir de cette époque, on se souvient encore bien des personnages et de l’intrigue, ou parfois plus confusément. Mais là encore, l’attitude sans doute dérivée du shinto n’est pas de conserver à tout prix les objets une fois qu’ils ont accompli leur tâche, mais de les « remercier » et de les laisser partir – éventuellement dans un nouveau foyer.
Ca m’a permis de regarder en face la réalité que non, je n’avais plus vraiment ni l’envie ni le temps de lire n’importe quoi. On peut s’ouvrir, se nourrir et se cultiver différemment… la lecture n’est pas exclusive du reste. Et c’est entre autres parce que j’ai plus d’occasions d’explorer le monde autrement maintenant que je ressens moins le besoin de lire.
Rassurez-vous, j’en ai gardé plein d’autres, ceux qui pour moi rentrent dans la catégorie « ce qui me font plaisir à tenir en main », ce qui le critère de base de Marie Kondo pour décider quoi garder. Et quand je déménagerai, les porteurs de cartons me maudiront.

4) L’important est dans le chemin autant que la destination
Dernier point à porter au débat, que les amateurs de livres devraient aisément comprendre : il est vain de comparer la version Netflix à la version livre de la méthode KonMari. Je l’avais achetée et lue avant, et comme beaucoup de livres de développement personnel, on peut se dire qu’il est résumable en quelques principes (ceux que vous trouverez dans moult articles sur internet). Mais dans la pratique, le fait qu’elle explique son propre cheminement dans la recherche obsessionnelle d’ordre et ses multiples exemples de clients et d’erreurs m’a autant aidé que la méthode elle-même. Je ne l’ai d’ailleurs pas appliquée telle quelle, parce que d’une part, je pars de beaucoup trop loin. Pour vous dire, ça fait 3 ans que j’ai tellement pris A-ha en grippe que je souhaite donner ou vendre mon merchandising et mes souvenirs d’eux. Et j’en ai encore retrouvé récemment (cartes postales de mon adolescence rangées au fond d’une boîte, pin’s idem dans une autre, etc…).
D’autre part, je pense aussi que ce qu’elle met en évidence, ce n’est pas qu’on a trop de choses, mais que notre génération (et les plus jeunes encore moins) n’a plus les moyens de se loger dans autant de mètres carrés que nos aînés… enfin, peut-être pas toute ma génération, les amis et la famille qui habitent en province n’ont pas trop ce problème, mais en tout cas les Franciliens et les habitants des grandes villes.
Le désencombrement ne peut fonctionner que si 1) l’abondance vous pèse et 2) vous cherchez et trouvez, en appliquant sa méthode du « est-ce que ceci me rend vraiment heureux ? », un moyen d’enfin faire efficacement du tri.
Et une partie de la méthode Konmari consiste à découvrir pourquoi on veut du changement chez soi, pas seulement comment y arriver. La série Netflix n’abordera guère le sujet : ce n’est pas aux USA qu’on encouragera une femme à questionner la non participation de son époux aux tâches ménagères ou la surconsommation…
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