Insolite! Le petit-fils d’un commandant d’Auschwitz rencontre une survivante du camp : la suite va vous surprendre! Les nazis le détestent

Rainer Höss est l’un des petits-fils de Rudolf Höss, premier commandant du camp d’Auschwitz. A ne pas confondre avec Rudolf Hess, le dirigeant nazi qui était parti en Ecosse en 1941, officiellement pour proposer un traité de paix à la Grande-Bretagne. La vie de Rudolf Höss a été reconstituée sous forme romancée par Robert Merle dans « La Mort est mon métier », lecture que je vous recommande également (mais pas si vous êtes dans une période dépressive, parce que ce n’est pas bon pour le moral…).
Eva Mozes Kor est l’une des survivantes du camp, une des jumelles ayant subi des expériences délétères de Mengele.
En 2013, Rainer Höss, qui renie publiquement son grand-père et l’attitude de sa famille vis-à-vis de ses crimes, a pris contact avec elle et lui a demandé de devenir sa grand-mère adoptive. Ce qu’elle a fait, après l’avoir rencontré. Article complet en anglais dans VICE. Résumé en français sur Atlantico (site canadien).

Dans le même thème, une des filles de Rudolf Höss a raconté ses souvenirs au Washington Post (résumé en français ici).

(pour l’accroche sensationnaliste de mon titre, je les déteste et c’est sans doute le sujet le moins approprié pour en blaguer, mais justement… Pour une fois que l’info est réellement surprenante et grave, c’était le meilleur moyen de s’en moquer! En plus, ce blog me sert à l’occasion d’expérimentation « level café du commerce » sur la médiatisation et les réseaux sociaux. On verra si cet article est plus vu que tous ceux que j’ai consacrés aux enfants de la guerre).

Lecture : Enfants de la guerre (4e partie) : Car tu portes mon nom, de Walter et Norbert Lebert

Pour poursuivre ce tour d’horizon, on boucle avec les enfants de bourreaux de l’autre côté de la frontière :
Car tu portes mon nom, Walter et Norbert Lebert. Entretiens avec des enfants de dirigeants nazis, en 1959 et 1999, par un père et fils journalistes.

Car tu portes mon nom

Walter Lebert était journaliste au Bildzeitung, entre autres. Une quinzaine d’années après la guerre, il avait réalisé une série de portraits – entretiens avec une douzaine de fils et filles de dirigeants nazis -. Bambins à l’époque du Reich, ils étaient inconscients pour la plupart des activités de leurs pères devenus tristement célèbres. Hitler était le parrain ou l’oncle affectueux. Walter Lebert voulait savoir comment ils vivaient cet héritage : se sentaient-ils coupables? Aimaient-ils encore ce père, maintenant qu’ils savaient?

Après la mort de W. Lebert, son fils Norbert, journaliste lui aussi, a lu ses portraits. Il est reparti à la recherche de ces personnes, quarante ans après. Avaient-ils réussi à se libérer de l’ombre de leur père? Qu’avaient-ils fait de leur vie : suivi ses traces ou au contraire fui son exemple?

Gudrun Himmler, elle, continue sans doute d’idolâtrer son père, comme quand Lebert père l’avait rencontrée. Elle a refusé toute autre interview depuis. Discrète, elle cache son ascendance, mais soutient Stille Hilfe (« aide discrète »), une association d’aide aux anciens nazis.

Wölf-Rudiger Hess a passé sa vie d’adulte à essayer de faire libérer son père, Rudolf Hess, de la prison de Spandau. Il est convaincu que son père avait raison et que les alliés l’ont assassiné pour l’empêcher de parler. Il l’a essentiellement connu au travers d’une centaine de visites à la prison et d’une lettre tous les 28 jours.

A l’inverse d’eux, l’un des fils de Martin Bormann, nommé comme lui, est devenu missionnaire et a rejeté en bloc l’idéologie, alors qu’il avait été élevé dans le pensionnat national-socialiste Matrei, dans le rejet de la religion. Il a trouvé une certaine paix en séparant, comme il le dit, le père des crimes du père.

Niklas Frank, l’un des fils de Hans Frank, a écrit un livre dans les années 60 pour dire sa haine du père. Cela lui avait valu bien des critiques, car il est entendu qu’on ne doit pas traîner ses parents dans la boue, fussent-ils des meurtriers de masse.

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Lecture : Enfants de la guerre (3e partie) : Naître ennemi, de Fabrice Virgili

L’historien Fabrice Virgili a consacré plusieurs livres à la Seconde Guerre Mondiale, en particulier sous l’angle des femmes dans la guerre. Dans Naître Ennemi, il fait le tour d’un sujet qui en découle : les enfants franco-allemands nés de liaisons durant la guerre. D’un côté de la frontière, sous l’Occupation, les troupes allemandes s’installant pour de longs mois cherchent à nouer des liens. De l’autre, les Français travailleurs volontaires ou réquisitionnés, et même les prisonniers de guerre appelés à travailler aux côtés des Allemandes, les Allemands ayant été enrôlés et envoyés au loin. Sur ceux-là, il y a moins de données chiffrées, car la clandestinité forcée les faisait échapper au recensement.

Naître ennemi de Fabrice Virgili

De part et d’autre, les relations étaient mal vues, voire interdites dans le cas de femmes mariées dont l’époux était sur le front pour défendre le pays, ou dans le cas des prisonniers de guerre. Ou encore, pour les Allemands, si la maîtresse ne répondait pas aux stricts critères d’exigence raciale du Reich. De relations brèves et vénales pour améliorer le quotidien en temps de rationnement, aux histoires d’amour que les amants tenteront d’officialiser jusqu’après la fin du conflit, tous les cas de figure co-existent.

Il n’y a pas qu’une histoire d’enfant franco-allemand. Après la naissance (pour ceux qui n’auront pas été supprimés avant), certains sont adoptés par une tante ou une grand-mère pour que le mari rentrant de guerre ne découvre pas l’infidélité de sa femme. D’autres sont rejetés parce qu’ils font de la mère une fille-mère ou rappellent son « péché » dans une société encore très patriarcale. Si les mères françaises ont été dénoncées pour « collaboration horizontale » et accusées d’aide aux nazis, l’épuration de la Libération les éloigne durablement de leur enfant.

Dans ce climat, très rares sont ceux qui sauront d’emblée que leur père venait de l’autre côté de la frontière, ou l’apprendront dans la cour d’école en se faisant traiter d’enfant de Boche. Les mères leur taisent l’histoire de leur naissance, par peur du jugement, pudeur, déni.

Ce qui ressort notamment de ce livre, c’est que lorsqu’un premier documentaire a abordé le sujet à la télévision (« Enfants de Boche »), ces enfants devenus quinquagénaires se sont enfin sentis autorisés à exister et à raconter leur histoire, à chercher les réponses qu’on leur avait cachées.

Pour cela, ils peuvent maintenant compter sur le concours d’administrations plus habituées et enclines à leur répondre. Et à des associations franco-allemandes, comme l’ANEG (Association Nationale des Enfants de la Guerre) ou Coeurs sans Frontières.

Informations pratiques
Naître ennemi, de Fabrice Virgili
Editions Payot (réédition en Petite Bibliothèque Payot en janvier 2014)

Autres ressources :
« Mon père s’appelait Werner », documentaire audio de Delphine Simon.

« Enfants de Boche », documentaire vidéo de Christophe Weber et d’Olivier Truc.

Lecture : Enfants de la guerre (2) : Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits, de Boris Thiolay

(Première partie ici)

Autre document en contrepoint, autre deuxième génération ayant eu du mal à surmonter le poids d’un passé dont ils n’étaient pas responsables : Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits, de Boris Thiolay.

Lebensborn de Boris Thiolay

Les Lebensborn, « fontaines de vie », étaient des maternités – pouponnières gérées par une organisation du même nom, créée dans le secret par Himmler dans le but de doter le 3e Reich d’une future armée de soldats aryens. Ces établissements accueillaient donc les femmes de membres de la SS, ainsi que nombre de jeunes femmes non mariées enceintes de soldats allemands, sous réserve qu’elles présentent elles-mêmes assez de caractères aryens.

Le secret les entourant a suscité une image d' »usines à bébés aryens ». A tort ou à raison : le sujet est finalement peu abordé dans les médias. Il n’existe à ma connaissance en français que cette enquête de Boris Thiolay sur le seul Lebensborn installé en France, à Lamorlaye, et celui qui fut en activité en Belgique, au château de Wégimont.

La guerre étant un environnement propice aux rencontres éphémères, l’incertitude de l’avenir pousse les gens à profiter du présent. Et il était recommandé aux soldats nazis de faire un maximum d’enfants (avec des femmes aux gènes « acceptables ») pour propager le sang aryen et renforcer l’Allemagne. L’idée des Lebensborn était entre autres de sauver les enfants de filles-mères qui, sinon, risquaient d’avorter ou d’abandonner leurs enfants. Les Lebensborn les accueillaient, les nourrissaient, et leur permettaient soit de garder l’enfant, soit de le laisser sur place où il pourrait être adopté par une famille aryenne. Ils ont aussi voulu germaniser les enfants jugés acceptables racialement, issus d’unions entre des allemands et des ressortissants de peuples inférieurs mais présentant suffisamment de caractères aryens pour être assimilés – quitte à les enlever à leurs parents pour ce faire…

Par un minutieux travail d’enquête dans les archives de la Croix-Rouge et à la rencontre de certains de ces enfants, l’auteur a reconstitué la fondation et l’histoire de ces deux établissement, ainsi que celle de nombre de la centaine de petits pensionnaires. Le résultat n’a rien à voir avec les objectifs fixés par Himmler à la création du projet, en partie du fait de la tournure prise par la guerre. Durant les derniers mois, les bambins ont été laissés dans un relatif abandon, élevés en groupe. Evacués en Allemagne dans les derniers mois de la guerre, ils ont été retrouvés en état de sous-développement au niveau moteur et du langage notamment.

Rapatriés en fonction du peu d’informations disponibles et suivant la consonance du nom de leur mère, beaucoup ont été accueillis dans des orphelinats français, y compris ceux nés en Belgique. La plupart n’ont jamais revu leurs parents, certains ignorent même encore où ils sont nés. Ils ont reconstruit leurs vies dans des familles d’accueil. Que la vérité de leurs origines soit connue ou pas de leur village d’accueil, beaucoup ont été traités d’enfant de Boche. Et ceux qui ont découvert tardivement une vérité partielle ont eu un choc. Leur père était-il un simple soldat, un membre de la Croix-Rouge, ou un des tueurs de la Waffen SS? Souvent, le mystère demeure et pèse sur eux.

Boris Thiolay, Lebensborn : la fabrique des enfants parfaits : ces Français qui sont nés dans une maternité SS, Éditions Flammarion, 2012

Pour plus de détails : un article du Monde sur le documentaire inspiré par le livre de Boris Thiolay.

(à suivre…)

Lecture : Enfants de la guerre (1) : 2e génération (ce que je n’ai pas dit à mon père), Michael Kichka

A l’heure où on commémore la Première Guerre Mondiale, je me suis penchée sur les survivants et héritiers de la Seconde.

– 2e génération (ce que je n’ai pas dit à mon père), Michael Kichka, BD aux éditions Dargaud.

deuxième génération

J’ai commencé avec cette bande dessinée autobiographique d’un fils de déporté juif, mettant plus l’accent sur le poids que ce père a fait porter à ses enfants. Un jour où Michael, enfant, est renversé par une voiture et blessé, son père le rejoint en disant « Qu’est-ce que tu m’as fait? », ramenant le drame à lui. Chose qu’il fait systématiquement, dans le reste du récit, quand ses enfants tentent d’avoir une vie de leur côté.

Une vie… ou une mort : un jour, le frère de Michael se suicide. A la veillée, au lieu d’évoquer le souvenir de ce fils disparu, le père se met soudain à raconter ce qu’il n’avait qu’effleuré jusque là, son expérience dans les camps. Si un psy expliquera ça en disant que ce décès a réveillé en lui des souvenirs dont il a alors voulu se délivrer en les racontant, pour Michael (et moi-même par son regard), cela apparaît comme une ultime négation de ses enfants qui apparaissent comme négligeables par rapport à sa vie à lui.

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On trouvait un conflit similaire dans un grand classique, le Maus de Art Spiegelman (publié en France chez Flammarion). Là, c’est l’auteur qui a incité son propre père raconter le ghetto et Auschwitz, pour la mémoire, pour le comprendre et élucider peut-être le suicide de sa mère alors qu’il était adolescent. Son père et sa mère s’étaient connus avant la guerre, et ont réussi tous deux à survivre aux camps et à se retrouver.

Il aborde néanmoins une difficulté inattendue de l’exercice avec un interlocuteur : son père est radin et raciste à l’extrême. Il conserve le moindre clou et va dans les hôtels voisins piquer des pochettes d’allumettes pour éviter d’en payer, mais jette sans lui dire le manteau de son fils adulte qu’il juge trop élimé, l’obligeant à porter à la place une de ses vieilles vestes démodées. Le narrateur a peur de conforter les clichés négatifs sur les juifs en le dépeignant ainsi. Sa femme, goy, imputerait volontiers son avarice aux privations qu’il a subies durant la guerre, mais d’après l’auteur, tous les voisins sont des survivants de la Shoah, et seul son père se comporte ainsi. On serait donc plutôt dans le cas d’un individu dont les épreuves ont peut-être renforcé les travers, mais n’en sont pas responsables.

Constat que je me suis fait également pour 2e génération, parce que le comportement consistant à tout ramener à soi et à ses propres souffrances, au mépris de celles des autres, je l’ai observé chez des gens qui n’avaient rien vécu de comparable aux persécutions nazies. J’ai donc du mal à percevoir le cas du père de Michael Kichka comme uniquement la conséquence de la guerre, même s’il est indéniable qu’un tel traumatisme n’a rien dû arranger. Le statut de victime de leur père rend surtout plus difficile à ses enfants, comme Michael et ses frères et soeurs, de régler leurs comptes d’adulte avec lui (tuer le père comme on dit).

Le narrateur de Maus s’en est mieux tiré, en dépit du suicide de sa mère, peut-être grâce à son entreprise de faire raconter l’horreur à son père. Une façon d’exposer une fois pour toutes l’éléphant dans la pièce, de reconnaître à son père son vécu tout en se faisant sa place d’adulte (et de dessinateur de BD, statut source de discorde) à ses yeux.

(à suivre…)