Les fans au cinéma (5) : Perfect Blue, de Satoshi Kon

Suite et fin du dossier. Les articles précédents :

Les fans au cinéma (1) : fans dangereux

Les fans au cinéma (2) : fans salvateurs

Les fans au cinéma (3) : fans obsessionnels

Les fans au cinéma (4) : être fan comme une école de vie

A l’origine, je voulais parler de ce film dans le 3e article de la série, sur les fans obsessionnels, mais il mérite un article à part.

« Perfect Blue », de Satoshi Kon, est un film d’animation japonaise dépeignant la difficile reconversion d’une idol en actrice, au grand dam de ses fans. Mima, l’héroïne, est membre des Chams, des idols japonaises : un groupe de trois jeunes filles chantant de la pop acidulée, vêtues de costumes rose bonbon et aux chorégraphies gentillettes. Mima a été approchée pour un petit rôle, et son producteur y voit pour elle l’opportunité de s’ouvrir une nouvelle carrière avant que le succès des Chams ne s’étiole. Ce qui, d’après lui, ne tardera pas à arriver, les groupes d’idols étant par nature éphémères.

perfect_blue_screenshot_2

Malgré ce qu’on pourrait penser, leur public n’est pas composé d’enfants ou d’adolescentes, mais plutôt de salary men et d’étudiants. Outre la production musicale et visuelle hyper travaillée, les chorégraphies réglées au cordeau et le marketing impeccable, ils apprécient chez les idols le côté femme-enfant de lolitas aux costumes suggestifs, mais pas outrageusement sexys – là où les jeunes chanteuses américaines laissent peu de place à l’imagination…

Lire la suite

Les fans au cinéma (4) : être fan comme une école de vie

En 2000, Cameron Crowe adaptait ses souvenirs de jeunesse en film, dans Almost Famous (Presque Célèbre), qui fait la part belle aux fans sous deux aspects. D’un côté le héros et narrateur, William (Patrick Fugit), jeune garçon sensible et encore naïf, fan de rock, qui écrit des chroniques de musique pour un journal local, dans les années 70. Il se fait repérer et publier par Lester Bangs, une légende du milieu de la critique. Par suite, le prestigieux magazine Rolling Stone – dont les rédacteurs ignorent son jeune âge – lui commande un article. Censé rédiger une interview de Black Sabbath mais sans accréditation, il se fait refouler à l’entrée du concert. Le groupe devant assurer la première partie, les Stillwater, le repoussent également, car pour eux le journaliste est l’Ennemi. Démontrant qu’il les connaît bien et qu’il aime leur musique, il parvient à obtenir leur confiance et un pass d’accès aux coulisses. Là, il retrouve Penny Lane (Kate Hudson) et sa bande de « groupeuses » : des filles qui rejettent l’appellation de groupies, revendiquant être là pour la musique et non pour coucher avec les musiciens.

almost famous

Dans la pratique, Penny et Russell, le guitariste des Stillwater, ont une aventure durant toute la tournée, au grand dam de William. Aventure qui est d’ailleurs la suite de celle qu’ils avaient eue durant la tournée d’avant. Il y a donc bien autre chose que juste la musique entre les filles et les musiciens… Outre la compagnie, et comme le décrit Busty dans son livre « Groupies! », on voit les groupeuses fournir le groupe en bière ou autres substances (même si Penny elle-même est contre la drogue), ou faire leur repassage. Mais Penny et sa bande jettent un regard critique sur la nouvelle génération de groupies, qui débarquent dans le milieu uniquement pour se taper des musiciens, d’après elles.

Lire la suite

Les fans au cinéma (3) : fans obsessionnels

« Backstage » (2006), film français d’Emmanuelle Bercot, met en présence une fan, Lucie (Isild le Besco), et son idole, Lauren Waks (Emmanuelle Seigner). Pour les besoins d’une émission de télévision, Lauren apparaît un soir dans le jardin de la mère de Lucie, devant les caméras avides de capter l’émotion de la jeune fille. Sous le choc de rencontrer enfin la chanteuse à qui elle voue un culte, Lucie est incapable de rien dire et s’enferme dans sa chambre. Lauren essaie de la convaincre d’en sortir, en vain. Elle n’obtient qu’un petit mot griffonné, glissé sous la porte. Elle s’en va avec son équipe, et finalement suivie par une Lucie hystérique.

backstage seigner

Le calme retombé et consciente d’avoir gâché sa chance, Lucie part à Paris, portée par l’espoir naïf et un peu fou que Lauren était sincère quand elle lui a dit qu’elles se reverraient. Elle trouve le palace où séjourne la star, le Plaza Athénée, devant lequel d’autres fans crient son nom en vain. Après avoir passé le nuit sur le banc d’en face, elle réussit à entrer dans l’hôtel (pas terrible, la sécurité…). Juliette, l’assistante de Lauren, intercède en sa faveur et lui obtient quelques minutes avec Lauren, tout en la prévenant que ce n’est pas pour autant qu’elle deviendra son amie. Lucie n’est guère plus loquace cette fois, parvenant seulement à s’excuser. Lauren, devenue mal à l’aise, la remet aux bons soins de Juliette. Assez bizarrement, elle lui confie sur un coup de tête la tâche d’aller lui acheter des cachets à la pharmacie.

Entre une rupture amoureuse et sa carrière qui connaît un ralentissement, Lauren est dans une mauvaise passe, et noue des rapports flous avec Lucie : d’un côté, elle la laisse rester des jours dans sa suite et l’emmène avec elle en soirée. D’un autre, sujette à des sautes d’humeur, elle se méfie de ses attentes, Lucie incarnant un peu tous les fans qui crient en bas de son hôtel. Un étrange triangle amoureux se forme entre Lauren, Lucie et Daniel (Samuel Benchetrit), l’ex de Lauren, qui semble se reconnaître dans la fascination de Lucie pour Lauren. Le film permet d’avoir un aperçu de ce qui se passe derrière les portes closes des suites de leur idole à tous ceux qui se le sont demandés.

Lire la suite

Les fans au cinéma (2) : fans salvateurs

J’ai planifié cet article la veille du décès d’Alan Rickman. Ca en devient un hommage maladroit, son personnage (savoureux) de Galaxy Quest étant sans doute l’un des premiers dans lequel je l’ai identifié. By Grabthar’s hammer, by the suns of Warvan, you shall be avenged!

Eric-Emmanuel Schmitt est parti d’un personnage de fan un peu similaire à celui d’Annie Wilkes en 2006 dans sa nouvelle « Odette Toulemonde », qu’il a également adaptée en film avec Catherine Frot et Albert Dupontel la même année. Mais l’histoire qu’il en a tirée est bien différente, à l’exact opposé même. Odette est une femme sans histoires bien que pas sans histoire : jeune veuve, deux grands enfants, cumulant deux emplois pour s’en sortir. Pourtant, elle n’est pas malheureuse, comme elle s’en explique dans une lettre à Balthazar Balsan, romancier et responsable involontaire de sa sérénité :

« Franchement, ma vie, avant de vous connaître, je la trouvais souvent moche, moche comme un après-midi à Charleroi quand le ciel est bas, moche comme une machine à laver qui vous lâche quand vous en avez besoin ; moche comme un lit vide. Régulièrement, la nuit, j’avais envie d’avaler des somnifères pour en finir. Puis un jour, je vous ai lu. C’est comme si on avait écarté les rideaux et laissé entrer la lumière. Par vos livres, vous montrez que, dans toute vie, même la plus misérable, il y a de quoi se réjouir, de quoi rire, de quoi aimer. Vous montrez que les petites personnes comme moi ont en réalité plus de mérite parce que la moindre chose leur coûte plus qu’aux autres. Grâce à vous, j’ai appris à me respecter. »

odette-toulemonde

Or, au moment où Odette réussit à lui transmettre sa lettre lors d’une séance de dédicaces, Balthazar vient d’essuyer une critique assassine qui a déchaîné sur lui une curée médiatique. Laquelle a ravivé ses doutes sur son propre talent et la fausseté de son existence, et l’a plongé dans la dépression. La lecture de la lettre d’Odette en plein gouffre lui apporte le réconfort que, quoiqu’en pensent les critiques, son œuvre donne du bonheur aux gens et n’est donc pas inutile. Même si, juste avant de lire la lettre, il se lamentait sur le mauvais goût kitsch du papier à lettre utilisé.
« Décidément, Olaf Pims avait raison : écrivain pour les caissières et les coiffeuses, il n’avait que les fans qu’il méritait! »
Elle lui prouve aussi qu’on peut trouver le bonheur dans une vie modeste, alors que lui qui a réussi suivant les critères communs (argent, gloire, femme belle et intelligente) se sent profondément insatisfait. Il part donc à la recherche d’Odette pour qu’elle lui apprenne à être heureux. Un renversement de rôles dont rêvent sans doute nombre d’admirateurs : rendre à son idole le bonheur qu’on lui doit, lui être aussi indispensable qu’il nous l’est, et accessoirement partager sa vie quelques heures! Un bel hommage aux fans.

Lire la suite

Les fans au cinéma (1) : fans dangereux

La fiction préférant les excès et les passions à la mesure, ce sont surtout les fans psychopathes ou ridicules qui inspirent les scénaristes.

misery

L’une des plus marquantes sans doute est Annie Wilkes, l’héroïne de « Misery », le roman de Stephen King (chroniqué ici). Celui-ci a été brillamment adapté en film en 1991 par Rob Reiner, avec Kathy Bates et James Caan dans les rôles principaux : vous ne regarderez plus jamais un bout de bois de la même manière. Argh. Paul Sheldon, écrivain populaire lassé des histoires à l’eau de rose qui ont fait son succès, a décidé de tuer son héroine Misery dans son nouveau roman, afin de se consacrer à un livre plus ambitieux. Après un accident de voiture, il est recueilli et soigné par Annie, une femme entre deux âges à la vie monotone. Lorsque celle-ci lit le dernier opus de sa série, elle entre dans une rage folle et décide de séquestrer Sheldon jusqu’à ce qu’il finisse de rédiger le tome qui verra Misery revenir à la vie.

Lire la suite

Cinéma : La valse des Pantins, de Martin Scorsese

Arte diffusait récemment dans son cycle Martin Scorsese un film méconnu, « La valse des pantins », sorti en 1983, un film centré autour d’un fan d’un type assez dangereux.

Robert de Niro y incarne un fan mythomane, qui confond politesse et amitié. Rupert Pupkin, trentenaire célibataire vivant avec sa mère, se voit déjà en haut de l’affiche comme humoriste, dans la lignée de son animateur comique préféré, joué par Jerry Lewis. Il l’attend régulièrement à la sortie de son émission télévisée, le Jerry Langford Show.

valse-des-pantins-1983-05-g

Vous pourrez voir le film sur Arte+7 en streaming jusqu’au 16 novembre à minuit. Si vous comptez le regarder, attendez donc avant de lire la suite de l’article, car j’y raconte tout l’histoire.
Lire la suite

Cinéma : Elle l’Adore, de Jeanne Herry

Etant donné que l’histoire ménage son lot de surprises – qui, une fois n’est pas coutume, se tiennent et ne sont pas gratuites -, je ne raconterai que le début de ce film français, sorti mercredi dernier. Muriel Bayen (Sandrine Kiberlain) est esthéticienne, divorcée et mère de deux enfants dont le père a la garde. Elle est aussi, depuis son adolescence, la fan numéro un de Vincent Lacroix (joué par Laurent Lafitte), un chanteur beau gosse « ayant réussi à ne pas s’aliéner le public masculin » (dixit Michel Drucker, guest star du film). Tellement habituée du premier rang de ses concerts que le staff du chanteur la connaît et la salue familièrement. Un gars de la sécurité s’excuse de ne pas pouvoir la laisser passer en coulisses « ce soir » à cause de l’affluence. Ca nous change un peu : Jeanne Herry, la réalisatrice et scénariste, nous dépeint une fan certes très assidue, mais ni hystérique, ni complètement paumée. Elle semble juste chercher à ajouter un peu de fantaisie à sa vie, soit par l’intermédiaire de Vincent Lacroix, soit en racontant des histoires à dormir debout à son entourage désabusé, des histoires sans rapport avec lui mais plus avec sa vie réelle.

Affiche Elle l'adore

Un soir, la réalité dépasse la fiction : son idole sonne à sa porte. Pas pour s’offrir un extra façon groupie : il a un service à lui demander. Il ne lui explique pas tout de suite, mais il a tué sa femme accidentellement, et plutôt que d’affronter les conséquences, il a concocté un plan pour faire disparaître son cadavre. Le-dit plan implique qu’une personne emmène le corps loin de Paris, et pour cela, il a jeté son dévolu sur Muriel. Sans lui dire ce qu’il transfère dans le coffre de sa voiture, ni pourquoi il faut qu’elle conduise la voiture jusqu’en Suisse chez sa soeur. Trop contente de pouvoir lui être enfin utile, Muriel insiste pour l’aider. La suite, je vous la laisse découvrir.

Cela peut sembler étrange de se fier ainsi à une quasi-inconnue, mais c’est une bonne idée – d’un point de vue de meurtrier pris au dépourvu – : la fan est extérieure à sa vie donc peu susceptible d’être soupçonnée par la police, tout en étant, a priori, assez attachée à lui pour lui rendre service sans poser de question.

Lire la suite

Cinéma : Mes stars et moi, de Laetitia Colombani (sur W9 en ce moment)

« Mes stars et moi« , de Laetitia Colombani, met sans doute en scène un fantasme de star : rendre la monnaie de sa pièce à un fan envahissant en lui pourrissant la vie! Robert Pelage (Kad Merad) est agent d’entretien dans un grand cabinet d’agents d’acteurs. Il a accepté ce travail pour pouvoir se rapprocher de ses idoles, que ce soit la grande dame du cinéma français Solange Duvivier (jouée par Catherine Deneuve) ou la jeune débutante Violette Duval (Mélanie Bernier). Travaillant de nuit, il ne les croise pas dans les bureaux, mais aux avant-premières pour lesquelles il dérobe des invitations dans le courrier de ses patrons. Il profite également de son accès pour noter leur emploi du temps et parfois appeler les directeurs de casting.

Suite à l’un de ses stratagèmes, ses trois actrices favorites, Solange, Violette et la star Isabelle Serena (Emmanuelle Béart) sont choisies pour partager l’affiche d’un film. Sur le tournage, elles découvrent qu’elles ont le même admirateur, dont les attentions pour les protéger commencent à devenir nuisibles. Elles s’unissent pour, à leur tour, faire intrusion dans sa vie en lui créant de menus ennuis. Lesquels ennuis finiront par dégénérer en gros problèmes.

Comme c’est une comédie légère et que tout le monde y est plutôt attachant, les actrices lui donnent alors un coup de main – et un coup de pied aux fesses virtuel. Elles le font d’autant plus volontiers qu’involontairement, les interventions de Robert leur ont permis de reprendre en main certains aspects de leurs vies dont elles n’étaient pas satisfaites. Au tour de Robert, donc, enfin dégagé de son obsession pour elles maintenant qu’elles sont devenues trop réelles et insupportables, de changer ce qui n’allait plus dans sa vie, cad son couple désuni avec Maria de Medeiros. Une fable morale, où, sans surprise, le bonheur est à trouver dans la vraie vie.

Lecture : Misery, par Stephen King

Le roman de Stephen King Misery, de par la force de son histoire, est l’une des premières « histoires de fans » qui vienne en tête.

Annie Wilkes n’est pas seulement une de ces fans qui se considèrent comme l’admiratrice numéro un de Paul Sheldon, l’écrivain. Elle est aussi une tueuse psychopathe, et l’était déjà avant de le rencontrer, avant même de lire la première ligne d’un de ses romans. Mais voilà, les fans sont des gens comme les autres. Dans le lot, il y a donc des gens bien, et d’autres moins bien, des salauds, des excentriques, et, nous dit Stephen King, un petit pourcentage de potentiels tueurs. Il faut dire qu’il aurait été difficile pour lui d’écrire plus de dix pages si Paul Sheldon, après son accident de voiture, avait été secouru par une de ses admiratrices normales. Elle aurait appelé les secours, il aurait été emmené à l’hôpital, soigné, il lui aurait offert un exemplaire dédicacé de toute sa production et la belle histoire aurait donné lieu à quelques articles dans les journaux people.

Lire la suite

Lecture : Big Fan, de Fabrice Colin

C’est un étrange roman en trois histoires parallèles que nous présente Fabrice Colin. D’abord, une biographie détaillée du groupe anglais Radiohead, émaillé de commentaires acerbes.

Sans intérêt. L’aspect commercial n’a jamais été un problème pour Radiohead. Seul l’aspect artistique importe. On croirait que tu parles de l’un de ces groupes indie stupides qui ne vivent que pour ne pas vendre de disques.

On devine assez vite que ceux-ci sont l’oeuvre de Bill Madlock, dont les lettres constituent la deuxième partie du roman. Il y décrit son quotidien depuis une prison, sans qu’on sache pourquoi il y est détenu. Il parle aussi d’une conspiration qu’il espère déjouer, d’un clone quantique et d’une imminente fin du monde. Le troisième récit en parallèle est celui de sa vie, jusqu’à ce qui l’a conduit en cellule. Au fil des pages, on découvre les théories alambiquées qu’il a construites autour de Radiohead et de son chanteur Thom Yorke.

bigfan_fabrice-colin

C’est là que la biographie du groupe est utile, pour les lecteurs qui, comme moi, ne sont pas des experts. Bill Madlock alias Gros Bill, c’est un fan de la variété la plus extrême, celui pour qui la musique devient le centre du monde, et l’artiste le sauveur du monde… à protéger à tout prix.

L’ensemble est assez prenant, même s’il parlera sans doute plus aux fans de Radiohead qu’aux béotiens. Un portrait intéressant de fan « extrême ».

Avec tout le respect que je lui dois, Bill Madlock ressemble au cinglé qui sommeille en moi : le fan que nous voudrions tous être et que nous avons probablement été, quelques semaines durant, aux alentours de nos quinze ans.

Big Fan, roman de Fabrice Colin, Editions Inculte, 2009