Vue l’affluence, il m’a fallu pas moins de 3 tentatives pour pouvoir voir l’exposition Oscar Wilde sans me geler pendant une heure devant le Petit Palais. Mais même en milieu de semaine (certes entre Noël et le Nouvel An) et à 11h du matin, on se marchait un peu sur les pieds dans l’aile sud du musée. Je pensais pas qu’il drainerait autant de monde dans un musée, d’autant qu’on pouvait se demander comment illustrer une exposition sur un homme de plume.

Comme beaucoup, j’ai eu une période d’intérêt pour le dandy (qui n’était pas Anglais mais Irlandais), entamée en lisant Le Portrait de Dorian Gray. Déjà, il s’agissait d’un des premiers « classiques » que je lisais qui ne délaye pas son propos. Les différents sujets abordés (art, morale et beauté) m’intéressaient. Et bien sûr, il y a le style de Wilde, et ses aphorismes brillants qui font encore les beaux jours des éditeurs de papeterie. J’avais même lu, aux éditions de la Pléiade empruntées à la bibliothèque, sa lettre De Profundis, écrite depuis la geôle de Reading à son petit Lord Alfred Douglas, qui lui avait valu son séjour en prison.

Night and sleep – Evelyn de Morgan
J’avais presque oublié, depuis cette époque, que mon intérêt pour Wilde s’était conjugué à celui pour sa période d’activité artistique en Angleterre. Il a favorisé, par les critiques d’art qui lui ont valu son début de notoriété, l’émergence des Pre-Raphaelite Brothers (PRB), courant que je qualifierais d’avant-coureur de l’Art Nouveau, et pour lequel j’ai eu, aussi, une phase de profond intérêt (avec lecture de différents ouvrages, expositions etc, quoi que, en France, ils aient été longtemps boudés au profit des Impressionnistes, leurs contemporains. Ce n’est pas que le monde de l’Art soit chauvin… mais si).
Et donc, je fus ravie, en commençant l’exposition, de découvrir qu’elle s’ouvrait justement sur l’activité de critique d’art d’Oscar Wilde. Avec, outre des articles de sa main et des caricatures de lui, des oeuvres dont il avait fait l’éloge, plus ou moins rattachées à ce courant, et/ou au Symbolisme.
Tels : La mort et le sommeil portant le corps blessé de Sarpédon, de William Blake Richmond. Ou Love and Death, de George Frederic Watts. Ou encore Love and the Maiden, de John Roddam Spencer Stanhope, dont le rendu si particulier est dû à la technique dite tempera. Ou bien Night and sleep, d’Evelyn Pickering-De Morgan :
Love and death – Watts
Sleep and Death holding Sarpedon – Richmond
Je retrouve l’impressionnant portrait d’Ellen Terry en Lady Macbeth, par John Singer Sargent, dont j’avais lu jadis la fascinante histoire : la robe dépeinte ici était celle portée par l’actrice Ellen Terry, et était cousue d’un millier d’élytres de scarabées, irisées de vert. Le tableau est exposé dans la salle mettant en avant les muses de Wilde, comme Sarah Bernhardt à qui il a écrit un sonnet. Il lui destinait également la pièce de théâtre Salomé, mais celle-ci fut interdite tout de suite. Des fameuses illustrations d’Aubrey Beardsley pour le livret sont visibles un peu plus loin, ainsi qu’une affiche de Jacques Carlu de Geneviève Vix dans le rôle.

Ellen Terry as Lady Macbeth – Sargent
L’exposition rassemble la totalité des photos de Wilde par Napoleon Sarony, les portraits réalisés pour assurer la publicité de la tournée de conférences sur l’art que donna l’écrivain à travers les États-Unis en 1882. Elle est aussi parsemée de ses aphorismes aux murs, tels :
To love oneself is the beginning of a lifelong romance
Les nombreux documents manuscrits n’intéressent pas que les lettrés : durant ma visite, une adolescente s’extasiait à sa mère que Wilde n’a fait qu’une faute de français dans l’une de ses lettres. Francophile, il séjourna plusieurs fois à Paris avant son procès, y fréquentant le milieu intellectuel, d’André Gide à Mallarmé. Il y reviendra après sa libération de prison, y trouvant un relatif anonymat et un soutien qu’il ne pouvait plus espérer en Angleterre. Il mourra à Paris dans la misère, et sera enterré au Père Lachaise.

Love and the Maiden – Stanhope
Parmi les raretés, très intéressante, une vidéo où Robert Badinter dissèque les démêlés judiciaires de Wilde. D’un côté, il relève le fait que Wilde ait été condamné à 2 ans de prison pour des relations entre adultes consentants, chose pourtant banale à l’époque entre hommes du monde, et qui n’est plus illégale en France – prouvant la relativité de la loi (l’expo relate d’ailleurs que la loi en question était un ajout récent, en marge d’une loi visant à protéger les femmes souvent victimes d’abus). De l’autre, il explique que le père d’Alfred Douglas lui a tendu un piège, en lui adressant à son club un carton le qualifiant de « Oscar Wilde posant au sodomite », afin de le pousser à intenter un procès en diffamation, où Lors Douglas se ferait une joie de le traîner dans la boue. Poussé par Alfred qui espérait voir son père condamné, Oscar Wilde est tombé dans ce piège, le procès en diffamation se retournant contre lui. Dénouement qui apparaît a posteriori comme un suicide juridique.
A noter un dispositif original autour de l’exposition, avec, outre un catalogue numérique disponible en plus de l’application (hélas uniquement pour iPhone… je suis sous Android et j’aime l’art, hein), une soirée « Born to be Wilde » qui avait lieu le 9 décembre et invitait les gens à venir habillés en dandys participer à diverses animations, et même un MOOC (cours à distance) sur le site de la Sorbonne. Ah? J’ai raté l’interview de Merlin Holland, le petit-fils d’Oscar Wilde et co-commissaire de l’exposition.
Pour finir, ce dernier aphorisme qui convient bien à ce blog :
We are all in the gutter, but some of us are looking at the stars
Informations pratiques :
Oscar Wilde, l’Impertinent absolu
du 28 septembre 2016 au 15 janvier 2017
Horaires :
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermé le lundi et certains jours fériés
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Le samedi 14 janvier jusqu’à 21h.
Plein tarif : 10 euros
Gratuit jusqu’à 17 ans inclus.
(c’est amusant : en rédigeant l’article sans doc sous les yeux, j’avais écrit comme titre à l’exposition « L’impénitent absolu » au lieu de l’impertinent… Joli lapsus!)
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