Lecture : Li Ang, Tuer son mari.

Li Ang, Tuer son mari. Editions Denoël & d’ailleurs

La jeune romancière s’est inspirée d’un fait divers qu’elle reprend en début du récit. Dans une province rurale de Chine, Lin Shi, une jeune femme simple, a tué et dépecé son mari, un abatteur de porcs.

Li Ang a tiré de ce drame un roman réaliste, habité de figures de style (l’évolution des bambous au fil des saisons) et de croyances populaires populaires. Ne seraient les ampoules 5 watts qui éclairent les maisons, l’histoire pourrait se dérouler il y a plusieurs siècles. La misère est aggravée par les traditions, défavorables aux femmes. La mère de Lin Shi, veuve et laissée sans ressources par la famille de son mari, est accusée d’adultère quand la faim la pousse à certaines extrémités. Lin Shi, recueillie de mauvais gré par un oncle, est mariée dès que possible à un parti à qui personne d’autre n’aurait confié sa fille. En effet, on considère dans ce milieu que celui qui tue les porcs devra le payer en enfer. Il est condamné par avance, et sa femme avec lui.

Ignorante de tout, jamais éduquée, Lin Shi est ballottée d’une situation à une autre, sans voie de secours. La violence rustaude de son mari n’arrange rien. Et ce qui devait arriver arrive. On a du mal à imaginer un autre dénouement, même si on sait d’avance comment cela va finir. La situation est sans issue, et le fait que ce soit tiré d’un fait réel rend la chose d’autant plus dramatique.

Lecture : Petit déjeuner avec Mick Jagger, de Nathalie Kuperman.

En le choisissant dans ma thématique, je m’attendais à une fantaisie légère sur un fantasme de célébrité. Erreur.

Le récit commence sur une scène de lever, assez confuse faute de repères sur le contexte. On comprend peu à peu que la narratrice est une ado qui s’est convaincue que si elle imagine assez fort que Mick Jagger est venu passer la nuit chez elle (pour parler de la pluie, rien de plus), cela va arriver. Elle essaie, sans succès, d’en convaincre sa meilleure amie. Pourtant, une fois ou deux, elle pensera avoir réussi.

Au fil des pages, on découvre que cette fixation est un moyen de pallier l’absence de son père, divorcé et parti vivre à Berlin avec sa nouvelle compagne, et de sa mère, régulièrement pensionnaire en maison de repos. Elle laisse alors sa fille de 14 ans seule des jours, voire des semaines durant, comptant sur une voisine pour vérifier à l’occasion que tout va bien. Que font les parents, que font les services sociaux? Accessoirement, pourquoi la fille ne demande-t-elle pas à aller vivre chez son père, qui a au moins le mérite de ne pas être dépressif chronique? Ni le père ni la mère ne semble manquer d’argent, et l’histoire ne se déroule pas dans un passé si ancien qu’on y laisse les ados livrés à eux-mêmes si longtemps. Cette partie du récit doit se dérouler dans les années 70, le Jagger dont elle rêve est trentenaire.

La musique des Stones et ce qu’elle lui inspire est aussi un moyen d’apprivoiser le désir, malgré le souvenir d’une agression sexuelle à dix ans. On se rend compte, avec l’irruption de fragments de sa vie future, que le récit est plutôt fait par l’adulte qu’elle est devenue. Mais cela ajoute au côté décousu du roman, qui s’aggrave en même temps que la névrose ou psychose de l’adolescente, dont on suit la lente descente vers le délire.

On est loin, donc, de l’aimable réflexion sur les tocades pour célébrité que j’imaginais. On est plutôt dans le drame, poignant parfois, confus surtout.

J’en retiendrai essentiellement ces phrases, qui semblent être un cliché sans nom sur la groupie de base, mais qui, après avoir exploré divers milieux de fans, décrit bien le moteur derrière le comportement d’une ou deux personnes que j’ai croisées :

« Je voudrais passer ma vie à être exclue. […] A rêver d’un avenir sans travail et sans peine, parce que accrochée au cou d’une star internationale, ça vous évite d’essayer de devenir quelqu’un. » 

Petit déjeuner avec Mick Jagger, de Nathalie Kuperman, Editions de l’Olivier

Lecture : Misery, par Stephen King

Le roman de Stephen King Misery, de par la force de son histoire, est l’une des premières « histoires de fans » qui vienne en tête.

Annie Wilkes n’est pas seulement une de ces fans qui se considèrent comme l’admiratrice numéro un de Paul Sheldon, l’écrivain. Elle est aussi une tueuse psychopathe, et l’était déjà avant de le rencontrer, avant même de lire la première ligne d’un de ses romans. Mais voilà, les fans sont des gens comme les autres. Dans le lot, il y a donc des gens bien, et d’autres moins bien, des salauds, des excentriques, et, nous dit Stephen King, un petit pourcentage de potentiels tueurs. Il faut dire qu’il aurait été difficile pour lui d’écrire plus de dix pages si Paul Sheldon, après son accident de voiture, avait été secouru par une de ses admiratrices normales. Elle aurait appelé les secours, il aurait été emmené à l’hôpital, soigné, il lui aurait offert un exemplaire dédicacé de toute sa production et la belle histoire aurait donné lieu à quelques articles dans les journaux people.

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Lecture : Brioche, par Caroline Vié

Brioche, par Caroline Vié, Editions JC Lattès

Ce roman est l’histoire d’une journaliste cinéma qui s’entiche d’un acteur pourtant pas très séduisant. Ce qui aurait pu n’être qu’un béguin sans conséquence prend des proportions dramatiques, parce que la narratrice n’aime rien d’autre. Elle donne pourtant l’impression d’être comblée, mais son métier jugé passionnant par ses proches, choisi par paresse, est décrit comme une séance infinie de lèche-bottes répétitif.

p49
Les vedettes semblaient se satisfaire de cette adulation de piètre qualité. Personne ne leur expliquait que leur présence n’est pas indispensable et qu’un professionnel un peu aguerri pourrait aussi bien écrire l’article sans elles, en faisant de surcroît l’économie des deux heures de retard qu’elles lui ont collées dans la vue pour cause de « repoudrage » de nez intempestif. Personne ne dit tout cela car les rédacteurs en chef dissimulent souvent des âmes de midinettes dans des corps de catcheurs.

Côté vie personnelle, pour satisfaire sa famille, elle a épousé un homme sans défaut apparent, mais à qui elle n’est guère attachée. Un fils engendré dans le même souci des conventions sociales ne lui inspire pas plus de grands sentiments. Elle s’occupe des deux avec soin, mais sans plus.

Au fil des pages, elle décrit la lente distanciation d’avec le réel, jusqu’au geste de trop.

p199
J’avais besoin de me fixer en pensant que, comme mon père, la fixette serait suffisante pour me satisfaire et que je n’avais pas besoin de réciprocité.

p200
A force de me regarder le nombril, de me pencher jusqu’au vertige sur mes raisons et sentiments, j’ai fini par tomber. J’ai bien essayé de me raccrocher aux bords, mais j’ai glissé sur les parois.

Avec un pitch pareil, un dramaturge aurait écrit un croisement entre Shark et Misery. Amélie Nothomb, à qui on pense forcément quand il s’agit de portrait de psychotique, en aurait tiré un roman plus malsain. Caroline Vié a choisi de le traiter sous forme de chick litt’ (littérature pour fille, à la Bridget Jones). Un bonbon acidulé étalé sur 200 pages, un peu tiré à la ligne, amusant, avec quelques passages comme ceux cités où elle s’essaie à de l’analyse psychologique.

Le portrait est assez précis pour toucher juste. On se demande à quel point il est proche de la réalité (auquel cas son mari et son fils pourront le trouver dérangeant).

J’imagine la possible genèse de ce roman : un réel béguin un peu trop encombrant dont l’auteur essaierait de se libérer en le tournant en farce. Parce qu’une simple histoire d’amour à sens unique, dans ce contexte, paraîtrait trop indigne à la narratrice au premier degré.

p102
Trop médiocre pour être ta femme, trop orgueilleuse pour être ta fan.

Pour lui donner un peu plus de chien sans tourner au pathos, l’auteur y ajoute de l’intensité dramatique en forçant le trait. Et pour éviter de sombrer dans le cliché façon Liaison Fatale ou Misery, donc, elle dédramatise avec une écriture très journalistique, à coup de jeux de mots, de tournures de phrases.

L’inconvénient de l’écriture journalistique de ce style, c’est que, comme les humoristes qui se risquent à l’écriture de scénario, ce qui est percutant et drôle en sketch devient un peu longuet étiré sur 1h30.

Restent quelques passages qui parleront à ceux et celles qui sont passés par des émotions similaires, en des circonstances différentes.

p99
Pour bien des gens, la beauté absolue reste une notion abstraite, une image sur papier galcé. Une figure de cire du musée Grévin, une chose qu’on n’approchera jamais que par fantasme interposé. Beaucoup s’en contentent, posent pour la photo en serrant le mannequin de Naomi Campbell ou de Bruce Willis dans leurs bras, sans même penser qu’ils existent vraiment en version carnée. Ils ne les verront jamais. Ils ne pourront jamais se comparer à l’injustice de la réalité. Car elle est là l’injustice, celle contre laquelle on ne peut pas lutter. En croisant régulièrement Halle Berry, Charlize Theron ou Gong Li, je me torturais silencieusement en me demandant à laquelle il m’aurait fallu ressembler pour te donner faim.

p143
Au fil du temps, j’ai appris à ne plus attendre le facteur. A comprendre que, quand quelqu’un dit « je promets », ce n’est pas un mensonge. Les gens le pensent le temps de le dire puis oublient tout aussi aisément. Une forme d’énurésie verbale, l’envie de lire la reconnaissance dans les yeux de leur vis-à-vis. Comme si les choses étaient déjà faites une fois qu’on a juré.

En restent également de bonnes petites piques contre un métier plus glamour en apparence qu’en réalité.

p145
Tu t’es arrêté de parler. De quoi? Je ne m’en souviens pas. Je n’écoutais pas. On s’en fout. J’ai recopié l’interview de Gwyneth Paltrow en changeant le nom et le sexe et tout le monde n’y a vu que du feu.

J’avoue qu’à l’époque où je lisais beaucoup de magazines de cinéma, il m’est souvent venu à l’idée de créer un générateur aléatoire d’articles sur des acteurs / actrices… Ca ne devrait pas être compliqué, il suffirait de rentrer le nom et l’âge du sujet, et le générateur irait se connecter à l’Internet Movie Database pour compléter l’article avec des connexions avec les réalisateurs et films de sa carrière. Le reste serait un mélange de formules toutes faites sur « Il n’hésite pas à briser son image », etc…

J.K. Rowling et la fan-fiction

L’auteur de Harry Potter a expliqué sa position sur le sujet dans une interview à la BBC.

En résumé, elle se sent flattée que ses lecteurs veuillent écrire des histoires au sujet de ses personnages et son univers. Elle a simplement deux restrictions sur le sujet :

– étant donné le jeune public, ainsi que le jeune âge des personnages, elle préfère qu’il n’y ait pas de fan-fictions pornographiques sur le sujet.

– elle ne souhaite pas non plus qu’il en soit fait un usage commercial, pour éviter que les fans ne soient exploités.