Vie ma vie de consultant : comment apprendre la fin de sa mission

Officiellement, d’après les textes de loi, le prestataire de service (ou consultant) reçoit ses ordres de sa société, laquelle doit lui transmettre les directives des clients chez qui il travaille. Le client n’est pas censé donné ses ordres directement, sauf tant que ça rentre dans le cadre de l’ordre de mission initial (sinon il s’agit d’un délit de marchandage).
Beaucoup de contrats de prestation sont signés en « tacitement reconductible » tous les 3, 6 ou 12 mois.

Si le client choisit de ne pas reconduire le contrat, il doit le signaler à la société de service (dans le domaine informatique, ce sont des ESN, « Entreprise des Services du Numérique », anciennement SSII avant un rebranding parce qu’ils avaient trop mauvaise réputation) un mois avant la date de renouvellement.

Et normalement, dans ce cas, le canal consiste à ce que le client avertisse la société, qui avertit le prestataire (son salarié). Dans la pratique, les clients qui ne sont pas des rats, par correction, avertissent le prestataire à peu près en même temps qu’ils avertissent le commercial en charge du compte. Parce que bon, les gens travaillent dans leurs locaux, ce sont des collègues, on est tous des êtres humains après tout.

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Mais ça, c’est quand tout se passe bien…
(tous les intervenants sont cités au masculin afin de contribuer à l’anonymisation, mais il y a quasiment la parité dans le monde merveilleux de la prestation de service en informatique)

Cas N°1 : le commercial distrait
Le commercial appelle le prestataire à 10h du matin pour lui demander s’il est ok pour une présentation (un genre d’entretien pour présenter la mission au candidat et le candidat au client, afin de voir si le tout est compatible) le soir même à 17h chez un autre client, à l’autre bout de la région parisienne.
« … Une présentation? Mais pourquoi? Je suis en mission chez Client1. Et puis c’est loin, pour être là-bas à 17h il faudrait que je parte de chez Client1 à 16h. »
Le commercial « Ta mission se termine à la fin de la semaine prochaine, ils ne te l’ont pas dit? ».
Contexte : c’était la saison des charrettes. Périodiquement, quelqu’un dans un conseil d’administration déclare « Il y a trop de prestataires dans nos services, ça coûte trop cher! Dégraissez! ». Et zou, les chefs de services reçoivent la consigne de se débarrasser de 10, 20, 30% ou plus de leurs effectifs « ASAP » (as soon as possible : dès que possible). Le suivi des projets? OSEF! (on s’en fout). Le passage de connaissances? OSEF! La surcharge de travail sur les internes? OSEF! L’important, c’est la comptabilité de fin de mois.

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Cas N°2 : le client méfiant
Dégustation de mousseux au pot annuel de la société de service. Prestataire1 croise Prestataire2, qui est en mission chez le même client.
Prestataire2 : « Eh salut! Alors j’ai appris que tu nous quittais la semaine prochaine? »
Prestataire1, interloqué : « … Tu me l’apprends ».
Contexte : depuis 2 ans, Prestataire1 travaillait sur un projet sensible, qu’il venait juste de mettre en production. Il semblerait que le client a estimé qu’il ferait du meilleur travail si on ne lui disait qu’au dernier moment qu’il partirait juste après la livraison. C’est vrai, quoi, des fois qu’il sabote le projet avant de partir. Au bout de tant de temps, la confiance règne dites donc… Ou bien les deux parties ont oublié de l’avertir. Allez savoir. Quelle idée aussi de tenir au courant les gens qui travaillent pour vous!

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Cas N°3 : le client honteux
Chef de projet à PrestatairesAutres : « Ca ne va vraiment pas, avec Prestataire1. J’ai essayé de joindre son commercial plusieurs fois, il ne revient pas vers moi, il ne répond pas au téléphone, tant pis pour lui, je lui ai envoyé un mail pour dire que Prestataire1 finirait dans un mois. »
3 semaines plus tard :
Chef de projet à PrestatairesAutres : « Il vous a parlé, Prestataire1? Vous savez si son commercial lui a dit qu’il finissait sa mission à la fin du mois? »
PrestatairesAutres : « Hmmmnon, il n’a rien dit. A priori il n’est pas au courant. »
Chef de projet : « Bon je vais lui dire alors. Mais quand même, c’est pas correct de la part de son commercial. »

Contexte : la mission ne se passait pas bien, le prestataire s’étant crispé et ayant perdu ses moyens suite à des tensions avec un collègue plus ancien. Le chef de projet avait remonté au commercial que la personne ne faisait pas l’affaire, et avait demandé à ce qu’on lui propose un autre profil. Mais le commercial avait fait le mort, espérant sans doute que le client n’insisterait pas. Du coup, il a perdu l’occasion de remplacer le prestataire sortant, tant pis pour sa pomme… mais pour le prestataire, c’est assez moyen d’apprendre ça si tard. Les mauvaises nouvelles, personne n’aime les annoncer.

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Cas N°4 : le carrément scandaleux
Prestataire1 était en mission chez Client depuis longtemps, et donnait tant satisfaction que Client a voulu l’embaucher. Prestataire1 ne tenait pas à quitter sa société de service, mais Client a lourdement insisté. Donc ok, Prestataire1 consent à démissionner, et signe un CDI chez Client. Client qui ne lui épargne pas les 6 mois de période d’essai renouvelable. Ex-Prestataire1 part en congé une semaine durant sa période d’essai. A son retour, il n’y a plus d’ordinateur sur son bureau.
ex-Prestataire1 : « Ben… il est où mon ordinateur? »
Collègues : « Ah… euh… T’as pas vu le chef en arrivant? Va donc voir le chef… »
En fait, Client-devenu-son-employeur le virait comme un malpropre durant sa période d’essai.
Evidemment, ça a fini aux Prud’hommes pour licenciement abusif, mais j’ignore comment ça s’est terminé ensuite.

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Voilà voilà voilà.

Alors quand on me dit aux infos que mais non y’a pas à s’inquiéter de la loi El Connerie, parce que les accords de branche et de chaque entreprise l’emporteront certes sur le Code du Travail, mais ce sera négocié avec les syndicats, j’ai comme un poil de méfiance. Parce que tout ce que je viens de raconter, là, c’était encadré par le Code du Travail. On voit le résultat. Et les syndicats, dans la plupart des boîtes, ils ne font pas grand-chose…

14 réflexions au sujet de « Vie ma vie de consultant : comment apprendre la fin de sa mission »

  1. « Licenciement abusif », pendant la période d’essai, c’est mal barré. Le principe de la période d’essai, d’après ce que j’en ai vu jusqu’ici, c’est que l’une ou l’autre des parties peut mettre fin au contrat sans avoir à donner de raison.

    • Normalement oui. Après quand la personne bossait chez toi comme externe (prestataire, intérimaire…) depuis plusieurs années, ça peut se débattre.

  2. C’est marrant, tu m’apprends qu’on ne dit plus SSII.

    J’avoue que pour ma part, je ne cherche pas à quitter celle où je suis mais uniquement parce que la mission se passe bien pour le moment. On verra quand elle se terminera. (Surtout que je suis allé une fois chez ma SSII : pour signer mon contrat. Je n’ai même pas le code pour rentrer dans l’immeuble ou rien. Autant dire que je ne suis pas pressé que ma mission se termine.)

    • Ah? Pourtant le nom a changé officiellement il y a 2 ans au moins, je crois. Si tu cherches la convention collective, je crois que c’est le nom.
      De toute façon les sociétés de service, c’est toujours ça : en général on reste pour la mission. Et on part pour la mission aussi… (si elle est trop pénible / pas intéressante), car c’est souvent là qu’on trouve la volonté d’aller voir ailleurs histoire au passage de revaloriser le salaire…

  3. la syntec est une des pires CCN du marché , mais bon comme le consultant/ presta informatique a encore de l’avenir devant lui tout est remplaçable à souhait.
    Un peu comme l’abus des postes d’interim ou de CDD, le presta / Consultant des ESN / ex SSII n’est finalement qu’un pion à déplacer à guise servant à combler les grands manques en interne et les montées en compétence, mais qui n’apparaissent jamais dans les effectifs réels des grandes sociétés, et c’est la un grand paradoxe… Tu as bien résumé les différentes étapes pourries de fin de mission , je pense que ce milieu n’en manque pas et ne finira pas d’en avoir . Autre grand avantage, socialement et syndicalement les membres des DSI internes ou externes sont souvent les derniers à raler voir ne l’ouvrent jamais ce qui fait encore mieux passer certains agissement ( ça commence à changer mais ce n’est pas encore ça)
    Très bon article 🙂

    • Une des pires CCN, je ne sais pas, celle de la grande distribution c’est un peu la misère de ce que je sais. Mais oui, ça devient (ou ça a toujours été, mais j’ai l’impression que ça empire) n’importe quoi l’utilisation des presta. Je passe dans des boîtes où sur l’ordre des financiers, ils ont viré la plupart des internes (au mépris de leurs connaissances sur l’historique), et quand ils en ont besoin, ils font appel à des prestataires pour un peu tout. Sauf qu’il n’y a pas toujours de doc, un gros turn over puisqu’au max les presta restent 3, voire 2 ans max (sinon ils auraient le droit de demander à être embaucher… ou en tout cas de tenter le coup aux Prud’hommes), et que à force d’élaguer, même les internes qui restent ne savent plus ce qui tourne ni comment.
      Mais c’est pas grave : les actionnaires sont contents! 😛

  4. 35 années d’intérim, le rapport avec les entreprises j’ai connu le meilleur et surtout le pire , je devrais écrire un livre.

  5. L’intérim…ce grand bazar…..
    Mais dans le monde du travail, on pourrait écrire des articles sur des situations scandaleuses – et c’est ça qui est triste ….

    • En tant que prestataire ou consultant, ce n’est pas tout à fait de l’interim : on a quand même l’avantage d’être en CDI (si c’en est un, en tout cas pour la mutuelle, demander un prêt pour ceux que ça intéresse, avoir des congés qu’on peut poser plus ou moins comme on veut, etc…). Et si la boîte n’arrive pas à te placer, elle doit te payer quand même. Bon, si ça dure, en général elle te vire… Mais ça laisse le temps de se retourner car c’est avec 3 mois de préavis, car statut cadre le plus souvent (dans l’informatique en tout cas).

  6. T’as le cas des vieux cobolistes, sensés arriver avec des cartes perforées en main, une vraie aventure. On en a un besoin stratégique et il en existe encore 2-3 en France digne de ce nom, qui sont chacun célèbres car ils ont écrit des livres sur le sujet et vivent des royalties … mais on leur dit  » on s’en fout de cobol « , on les récupère sur le site de l’APEC genre « on te donne une chance » et on les vend au client final par 5 intermédiaires qui sont eux, des gens sérieux, et pas des sortes d’autistes cherchant frénétiquement la vacherie que l’interne à laissé en cadeau avant de partir en retraite pour remercier sa boite de tout le respect avec lequel on traite les anciens cobolistes ( « des informaticiens dépassés ayant peur des souris » …) … des gens sérieux puisqu’ils te disent avec emphase que eux, la technique, ils y connaissent rien … on te fait faire en période d’essai les trucs les plus complexes en te noyant dans un Workbench piégé que personne t’explique histoire de te montrer que tu es « dépassé » et en même temps tu dois former au cobol 4-5 jeunes foetus qui veulent t’expliquer la vie, avec leur méthodes try-and-horror, et la copine du boss, que tu reconnais en lui demandant « alors c’était bon ? » quand elle arrive à 14h40. Si elle pique un fard tes soupçons sont exacts … On te fait croire qu’on doit te virer en raison des clauses de non-concurrence mais comme tu as pas encore ton Kbis cela va pas, au final tes sponsors t’aident plus car tu t’es fait virer, donc tu peux pas faire ta boite … Rha lovely.
    Vu que : tu es pas arrivé à : fixer les « petits cadeaux » laissés par les anciens, finir un projet de 100 jours en 10 jours, former 2 bac+5 et la copine du boss. Par contre un point commun, si tu dis qu’il faut sauvegarder la zone SQA si tu as un deuxième curseur, tout ce petit monde charmant te dira « évidemment ! » … comme s’ils savaient … (Pour le
    tester tu dis une connerie pour voir, ils disent tous « mais bien sûr » … Au final comme tu te fais virer tes sponsors te lâchent et tu peux pas faire ta boite. Ensuite tu touches 2500 euro pour venir de Strasbourg sur Aix-en-Provence mais comme tu as facturé un mois en indépendant et avec ton Kbis si tu le donnes à Pôle-Emploi tu es indépendant donc tu touches rien … et on te dit que les cobolistes sont riches … Si tu as un Kbis en France, dans l’ordre : Tu as plus de toit car ta proprio veut un CDI, ton banquier te lâche tout de suite, tu as plus de voiture car le garagiste veut des feuilles de salaire de 1900 euro et pas tes factures de 15’000 euro, tes parents te déshéritent, ta copine te quitte, les impôts t’écrivent, tes gosses viennent plus te voir, tes potes te disent que tu es cinglé de créer une boite en France, et ton chat se barre … Seuls le Fisc, l’URSSAF et le RSI restent fidèles à leur poste. L’idée, avec les vieux lapins du Cobol, c’est globalement de croire qu’ils sont idiots au point de pas remarquer combien ils sont rares, et de vouloir les mettre sur des codes de 40’000 lignes concoctés depuis 30 ans par des séries de boulangers reconvertis à l’informatique qui pensent que le job est de montrer son génie en écrivant 300 lignes pour faire une recherche en table … Pour la cerise sur le gâteau, après le commercial débile qui s’habille et se comporte en singeant Christian Grey avec un soit-disant diplôme d’école de commerce acquis en regardant bien la télé ou lors de cours de théâtre, ou le manager-joggeur qui doit sa fonction au fait de  » rien connaitre à la techique  » ( un classique depuis 30 ans ), de nos jours tu as des coach et des psychologues qui veulent créer la connivence entre toi et le vieux-qui-part-en-retraite et qui-va-jamais-dire-ses-secrets en te faisant chier autant que lui quand il est arrivé il y a 30 ans … ces clowns croient qu’un type qu’on a pris pour un con-débile pendant 10 ans va partir en transmettant un savoir qui a été tourné politiquement au ridicule « dépassé » au premier jeune con qui débarque avec une tête de premier de la classe … MDR, il va leur rendre la monnaie de leur pièce, vu que son code cobol « on s’en fout » … Un « sachant » comme ils disent, les manageure ( savoir quelque chose est pas dur par rapport à ces joggeurs) c’est exactement comme une mini-jupe : ça montre beaucoup de choses mais cache l’essentiel … et comme une jolie fille, ça attire, ça séduit, ça te
    fait croire et puis ça t’emmène là où tu dois pas aller. Le pire c’est quand il te trouve trop sympa pour te laisser continuer car lui est bien placé pour savoir que de toutes façons, ses secrets il les donnera jamais, vu qu’il se l’est promis-juré douze fois sur ses enfants vu la façon de traiter les « techniciens » dans l’informatique : de vulgaires codeurs, de vulgaires soudeurs. En 2017 un expert cobol qui accepte de le pratiquer qui vient chaque lundi avec sa Porsche est un peu naïf car il devrait pouvoir négocier une Ferrari pour le mardi, une Maserati le mercredi et pour le jeudi se faire chercher en limousine car il est fatigué. Le vendredi étant le jour des hôtesses 🙂 Mais non il finance des bureaux où des poules-décérébrées jouent aux commerciales comme elles voient dans les télé-réalités : Tel client sort avec tel presta qui sort plus avec tel autre etc … 🙂

    • Ah oui, les Cobolistes sont traités si mal que ça ? Je m’en suis éloignée parce que je sentais le vent tourner, mais j’ai gardé ma doc « au cas où », persuadée que d’ici 30 ans il y aurait encore du boulot si ma nouvelle branche (MOA) se faisait moins vendeuse…

      COBOL, la liche de l’informatique

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